Timitar 2015 : du Mali au Souss
C’était l’emblème de cette dernière édition. Difficile d’en exprimer l’élixir de bonheur retiré, en dire trop ? Pas assez ? Nous avons choisi de vous livrer l’un de nos plus joli voyage à l’intérieur du festival, celui parcouru le long des cordes tendues, une fois de plus, entre l’Afrique subsaharienne et le Maroc via la musique ; le concert de Vieux Farka Touré au Théâtre de verdure.
Pas comme une évidence
Si l’on accepte de sortir des lieux communs sur la musique noire qui ferait bouger tous les peuples, force est de constater que les adeptes d’une certaine musique souvent un peu érudite, lyrique, regardent parfois d’un œil circonspect la musique subsaharienne, associée aux musiques de transes, aux percussions, aux rythmes dansés… Le public marocain du théâtre de verdure, qui n’est pas celui qu’a rencontré Hindi Zahra Place Al Amal ne déroge pas à la règle. Si la salle baigne dans une certaine atmosphère poétique - un dôme céleste en partage- le public y est au départ assis et semblait plus prédisposé ce soir là ; jeudi 23 juillet, au lyrisme du Oud de Rabih Abou Khalil ou au flamenco exalté de l’Orchestra Chekara qu’au blues malien du fils de celui dont Scorsese disait qu'il y avait dans sa musique "l'ADN du blues", le fils de l'un des plus illustres de la musique africaine, trois fois nomminé aux Grammy Awards, l'immense Farka Touré. Et pourtant…
Démontrer qu'il n'est pas seulement héritier : un public glacial se met à danser
Si les débuts furent un peu difficiles, Vieux Farka Touré a réussi la gageure : enthousiasmer un public enclin à recevoir une musique lyrique sur des rythmes de rock afro et même de zougoulou ! Malgré le talent du guitariste héritier du plus grand bluesman africain, les débuts sont compliqués. Il joue, la salle répond fébrilement. Ses acolytes (les musiciens : Valess Assouan à la basse, à la batterie Mike Dibo et au N’goni Dialymory Cissoko) poussent le public, dansent, jouent mais l’Afrique ne prend pas. Certainement, à ce moment- là les membres du groupe se demandent si ils sont bien originaires du même continent ; l’Afrique et ayant des rythmes, des signes et tant de culture en partage. Mais Vieux Farka n’en démord pas, ne le décourage pas qui veut et il se met à envelopper la salle de sa voix de bluesman malien, à scander des paroles que le public devra reprendre, il met la salle au défi, l’apprivoise. Au passage il balance quelques solos à la foule, histoire de rappeler que l’on peut être talentueux avec d’autre cordes que celles du oud et envoûte le public, peu à peu passant de registres aussi hétéroclites que du blues au rock en passant par les rythmes les plus dansants des mélopées africaines.
Au commencement était le rythme
Et cependant que la salle est peu à peu gagnée ; c’est aux musiciens de Vieux Farka de nous en raconter car c’est d’eux aussi que viendra la transfiguration dans les arènes du théâtre, pour passer de l’observation dubitative à l’exaltation et à une foule dansant et scandant des paroles inconnues, se trémoussant sur les gradins. Tout ceci est né de la voix magique de Vieux Farka, de son talent aux cordes frottées mais aussi de la dextérité et du bassiste Valess Assouan imprimant son groove à ses pas, dansant constamment, de la ferveur du batteur Mike Dibo et du très beau solo de Dialy Cissoko au N’goni. Le N’goni, cet instrument qui fait si bien le lien entre le oud marocain, la cora africaine et le ribab Rayss. Et ça y est, on y est dans les signes en partage, peut être dans un écho aux rythmes ancestraux des Rayss, on y est au cœur du rythme et de la poésie. On est à Timitar, théâtre de verdure en 2015 et on se dit que, décidément, ce festival ne devrait pas finir de nous étonner.
Texte Nathalie Perton
Photo Isabelle de Balathier