Moulay Hicham El Mansour

Communiqué de presse
Dalila Minel
Editor Made in Marrakech
30 janvier 2012

Évocations d'un lieu, syncopées comme le hot Jazz : LE MARRAKECH D’EL MANSOUR

Découvert par la Galerie d’Art Lawrence-Arnott de Tanger, en 2007, le vernissage de la première exposition du peintre autodidacte Hicham El Mansour a été un tel succès que la deuxième chaîne de télévision marocaine a diffusé un reportage sur ce vernissage suivi d’une interview de l’artiste. Au cours des quatre années suivantes, il a présenté sept importantes expositions en solo, dont deux sous les auspices du ministère de la Culture – une au musée de la Casbah de Tanger et la seconde au Centre Culturel Ibn Khaldoun de Tanger également –, et il a aussi participé à huit expositions collectives. Son travail est représenté par deux tableaux à l’huile dans la plus importante collection institutionnelle du Maroc ouverte au public, celle du musée de la Légation Américaine de Tanger, et par un travail à l’acrylique dans la collection de l’archevêché catholique de Tanger.

El Mansour n’étant diplômé d’aucune école des Beaux-Arts, personne ne lui a dit quoi faire ou une pas faire ! Son art est inconsciemment exempt de la plupart des représentations esthétiques étouffantes inculquées, auxquelles doit se soumettre un artiste qui s’engage à toujours peindre d’une façon particulière ou qui appartient à un “mouvement” défini ou à une “école” ! Il se refuse obstinément à se soumettre à pareille absurdité et ne voit aucune raison apparente pour laquelle un artiste ne peindrait pas un paysage urbain naïf le matin, un paysage post-impressionniste l’après-midi et un tableau abstrait-expressionniste en nocturne ! Et pourtant, il existe une unité dans sa diversité d’exécution. Elle est enracinée dans sa palette de couleurs primaires vives non mélangées et dans une unité de mouvements basée sur sa technique particulière : la puissante et rapide utilisation du pinceau et du couteau à palette pour sculpter autant que peindre.

“MARRAKECH” est un exemple du style original purement naïf d’El Mansour, où la simplification des formes est tellement radicale qu’elles sont devenues l’équivalent de notes prises en sténographie iconographique. Quant à son utilisation des couleurs primaires, pour créer des assemblages de motifs aléatoires, elle flirte avec l’abstraction. Le hasard veut que ce tableau ait beaucoup en commun avec le travail du post-impressionniste français Raoul Dufy (1877-1953) et sa réponse artistique à Marrakech en 1926. Cette affinité de technique est encore plus évidente dans “LA MÉNARA LE SOIR”, un sujet que Dufy a également peint à plusieurs reprises, en utilisant une palette fauviste et une fluidité de style qui simplifiait radicalement les formes de la faune, de la flore et de l’architecture. Mais tandis que Dufy s’efforçait de capturer ce lieu, parmi les plus iconiques de Marrakech, par des applications d’aquarelles lumineuses, El Mansour a tenté, avec succès, de capturer la même impression de luminosité et de mouvement par une utilisation quasi frénétique du couteau à palette, employant une pâte épaisse. Le résultat est presque sculptural dans son sens de modélisation cinétique du plastique.

Dans “DEVANT LES MURS” et “GNAOUA DE MARRAKECH”, El Mansour utilise avec succès et simultanément un vocabulaire naïf et abstrait-expressioniste. Son utilisation magnifiquement contrôlée du couteau à palette augmente de façon incroyable l’impression de mouvements enflammés qu’il essaie de rendre, tandis que son utilisation d’une riche palette de couleurs primaires, dominée par des rouges torrides et des oranges au cadmium, rendent au mieux la chaleur oppressive de Marrakech au cœur de l’été.

“L’ATLAS AU PRINTEMPS” est une œuvre dramatique et colorée, dans laquelle El Mansour emploie une technique presque pointilliste, pour produire un paysage impressionnant qui frise la pure abstraction tout en explorant le riche vocabulaire d’un impressionnisme teinté de fauvisme. C’est un artiste qui met au point sa propre “sténo artistique”, dans laquelle les couleurs ne sont pas vraiment utilisées pour représenter la réalité d’une chose, mais l’idée qu’il se fait de cette réalité. Cela crée presque invariablement une tension dans son travail, par laquelle l’attraction gravitationnelle de l’expressionnisme abstrait devient peu à peu dominante. Il est certain que “LES VILLAGES DE L’ATLAS” et “AÏD EL KEBIR” ne sont que superficiellement des peintures figuratives, et dans “D’JEMMA EL EFNA LA NUIT”, El Mansour s’est libéré entièrement de tout désir de représenter de façon exacte l’architecture ou les silhouettes. Il se concentre sur l’abstraction la plus pure, et il la réalise dans “TROIS VISAGES”, où trois masques cubistes ressemblant à des glyphes, exécutés dans une palette réduite à trois couleurs non mélangées, forment un tryptique introspectif séculier.

Sa tendance à sublimer la forme à la couleur est encore plus marquée dans “LES JARDINS DE MAJORELLE” où El Mansour regarde au-delà des lignes formelles du jardin, ses sentiers, bassins, pots de céramique aux couleurs exagérées, pour mieux distiller l’esprit du lieu à travers le prisme de ses propres perceptions. Encore plus frappant : “PARMI LES BAMBOUS” où des lignes verticales mauves, bleu lapis, rouge cadmium et orange sont utilisées pour produire une toile post-moderniste fauviste japonisante qui rappelle les œuvres de Charles Dufresne. Dans le troisième de ses tableaux ayant pour thème les Jardins de Majorelle, “LES JARDINS LE MATIN”, la vision d’El Mansour est celle d’un second Eden, immaculé, inaltéré, silencieux, paisible, délivré des touristes lassés que déversent les bus pour une visite de dix minutes ! C’est une explosion d’émotion innocente, une réponse personnelle de joie enfantine, réalisée au moyen d’une intensité de couleur rarement égalée.

Rose tourmaline, turquoise écrasée, bleu lapis lazuli, jaune citron, couleurs de joyaux grandement adoucies, un couteau à palette étroitement contrôlé de façon experte, et une série de coups de pinceau rapides et sûrs ont produit “COUCHER DE SOLEIL SUR LA PALMERAIE”. C’est une évocation de l’artificiel aménagement “naturel” de la Palmeraie de Marrakech, la réalisation en peinture du jardin rêvé de Majorelle et d’Yves Saint Laurent, dans lequel les couleurs vives des sentiers, des murs, des pots, des fontaines semblent être un echo de la nature, mais en réalité, il les soumet à une esthétique toute personnelle.

El Mansour réagit quasiment, à la luxuriance subtropicale du paysage de la Palmeraie de Marrakech, comme un Européen ; il est ébloui par l’éclat d’un soleil persistant et le heurt des couleurs primaires naturelles ! Mais il est vrai qu’il est natif d’un Tanger enveloppé dans les nuages, la “Ville Blanche”, avec ses maisons et immeubles décorés d’une palette discrète dominée par gradations infiniment subtiles de blancs, le blanc de l’écume d’une mer déchaînée, le blanc des perles, le blanc de l’ivoire, le blanc de la crème, le blanc de la neige, le blanc des dents d’une jeune Berbère souriante. Sa réponse à Marrakech est d’embrasser et de distiller ce spectre de couleurs éclatantes et éblouissantes, et d’essayer de le reproduire comme des notes clés de son travail.

Quatre toiles dominent cette exposition : “DANS LA CHALEUR DU JOUR”, “DANS LA CHALEUR DE LA NUIT”, “JAZZ À MINUIT”, “JAZZ À MARRAKECH”. Elles représentent un tour de force de fauvisme, abstraction, expressionnisme ; elles irradient la chaleur et sont remarquables pour leur sens lyrique du mouvement ! “DANS LA CHALEUR DU JOUR” offre de vives couleurs qui semblent lutter pour la domination. Des mosquées bleues donnent l’impression de fondre au soleil de midi, mais c’est pour mieux souligner la valeur figurative des Touareg, les célèbres “Hommes Bleus” du Sahara, tandis que les palmiers s’évanouissent dans la chaleur insupportable de l’été à Marrakech. “DANS LA CHALEUR DE LA NUIT”, le soleil s’est couché et la palette est plus douce, mais le paysage continue de griller, torturé de rouge et d’orange au cadmium. Les immeubles fondent littéralement comme des bougies à la cire d’abeille. L’explosion de formes et de couleurs dans “JAZZ À MINUIT” et “JAZZ À MARRAKECH” rappellent un kaléidoscope, et une utilisation sans crainte du noir apporte une richesse sans dominer la palette primaire. L’un ou l’autre de ces tableaux aurait fait une merveilleuse toile de fond pour les danses jungle-jazzy syncopées de Josephine Baker ! C’est le meilleur d’un El Mansour qui laisse le medium s’emparer de ce que la peinture veut faire. C’est sa réponse définitive à la Marrakech Impériale, la “Ville Rouge”, ville construite d’argile rouge et de boue ocre, cuite au soleil, baignée de lumière et de jazz syncopé, où même les odeurs écœurantes de l’huile de jasmin et du musc ne parviennent pas à masquer la transpiration viciée de la poursuite hédoniste de plaisirs illicites dans une centaine d’hôtels bon marché de la medina.

Dans “CASABLANCA VUE DE LA MER” l’artiste produit un autre nocturne, utilisant une palette extrêmement douce et contrôlée, dans laquelle le blanc, le noir et le bleu sont les sombres notes de base. Il utilise son couteau à palette sans hésitation, en mouvements de balayage nets, mais pour produire un effet statique plutôt que cinétique. La ville flotte sur sa propre réflection, sur une mer légèrement polluée, sur le riche fond d’un ciel qui a la qualité d’un textile, comme s’il s’agissait d’un montage à base de velours écrasé noir, bleu et rouge.

Une chose est claire, la popularité d’El Mansour parmi les collectionneurs est due à son incroyable diversité de styles et au fait indiscutable qu’il est cette chose si rare, un peintre marocain fidèle à son propre genie et à sa culture, qui essaye de capturer en peignant sa propre réponse esthétique au Maroc. Dans la brève histoire des artistes marocains ayant une formation académique, la majorité a adopté des manies tout à fait occidentales et sont pour la plupart des peintres pseudo occidentaux. Ils s’efforcent d’être des cubistes, post-modernistes, dadaïstes, expressionnistes, impressionnistes, réalistes, abstraits, contructionnistes ou autres, mais sans manifester aucun sens de leur propre culture ! Ils produisent des barbouillages de troisième ordre manquant d’inspiration et couvrent d’immenses toiles de trompe l’œil, de porches, de représentations de morceaux de zelliges, d’ombres répétitives de paravents métalliques, de copies d’arabesques traditionnelles, et ils espèrent persuader la critique comme le public que les tableaux en question sont, esthétiquement et spirituellement, vraiment marocains, et non des croûtes inintéressantes comme on en trouve dans les bazars. Mais personne ne s’y laisse prendre, et c’est pourquoi les artistes marocains les plus aimés, comme Moulay Ahmed Drissi, Mohamed Ben Ali R’bati, Mohamed Hamri, Fatimah Hassan Farouj, Chaibia Tallal, sont ceux qui furent nommés à un moment, de façon désobligeante, “autodidactes” et rigoureusement exclus des Salons! El Mansour est un digne successeur de ces peintres inspirés et, avec le temps, il obtiendra le même degré de respect. C’est un jeune artiste marocain qui ne cesse de sincèrement perfectionner son idiome très personnel, distinctif et non-colonial, à la différence de nombre de ses contemporains qui se satisfont d’imiter les modes et les goûts qui prévalaient, il y a quarante ans, à Londres, New York, Paris et Madrid !

Dr. Terence MacCarthy et Andrew Clandermond

Critiques d’Art

Dalila Minel
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30 janvier 2012

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