3.300 médecins à l’horizon 2020 ou la folie des grandeurs

Société
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Editor Made in Marrakech
5 octobre 2008

Un adage bien de chez nous dit: « habille-toi en fonction de tes moyens et de ta taille, ça te siéra mieux ». Il s’applique aux projets de construction des nouveaux centres hospitalo-universitaires de Marrakech, Fès, Oujda, de la construction de cinq nouvelles facultés de médecine et des CHU qui serviront de terrain de formation et de stage pour les futurs médecins, de la formation de 3.300 médecins par an à l’horizon 2020.<BR>

Il ne faut pas oublier, bien entendu, l'attribution des postes budgétaires nécessaires pour l'encadrement pédagogique et administratif, le personnel infirmier indispensable pour faire tourner tous ces méga projets, un personnel qu'il faut estimer en millier et, pour terminer, toute la technologie haut de gamme qui doit exister dans les différents CHU et au niveau des différentes facultés de médecine que l'on projette de construire d'ici 2020.

- Des choix coûteux Ce qui va nécessiter non pas des millions, mais des milliards de DH qui seront payés par le contribuable c'est-à-dire vous et nous, via les impôts. Nous ne pouvons que nous réjouir et souscrire à une telle initiative, mais il faut rester réaliste et très vigilant, et ne pas céder facilement aux projets trop ambitieux élaborés de toutes pièces dans des bureaux feutrés par des bureaucrates ou des technocrates qui n'ont aucune connaissance réelle du terrain et encore moins des professions de santé. Le Maroc a certes besoin de structures de santé, de personnel, de faculté de médecine, nous sommes tous d'accord là-dessus, mais ce que nous ne comprenons pas c'est la mauvaise et la sous-utilisation de l'existant. Aucun hôpital ne peut se targuer d'avoir un taux d'occupation de 80%, il y a à l'évidence beaucoup de lits vides, le TOM national n'est que de 50% et peut-être même un peut moins. Dans ces conditions pourquoi ne pas utiliser d'abord l'existant. Idem pour les personnels. Nous avons un déficit énorme en infirmier, nos besoins sont estimés à plus de 19.000 infirmiers toutes catégories confondues. Pourquoi dans ces conditions construire de nouvelles structures hospitalières, de nouveaux services pour se retrouver avec un manque cruel d'infirmier et en certains endroits d'un véritable désert médical. Pourquoi ne pas faire l'économie de tous ces millions de DH afin de les utiliser dans des projets plus cohérents, plus réalistes et plus urgents. Le gouvernement a tout pensé et a mis en place une stratégie. Quand nous disons le gouvernement, il y a lieu de rappeler que nous voulons dire l'ancien et le nouveau gouvernement.

- Pourquoi la réforme et pourquoi l'initiative ? Le Maroc envisage de pallier la pénurie de professionnels de la santé en formant 3.300 médecins par an d'ici 2020, au lieu de 900 actuellement. Le coup d'envoi de cette stratégie a été lancé avec la rentrée universitaire 2008/2009 C'est l'ancien Premier ministre Driss Jettou qui avait présidé à la signature d'un accord entre les ministères de la Santé, de l'Education et des Finances, au siège de la Faculté de médecine de Rabat, un accord qui vise à faire passer le nombre de médecins de 5,1 à 10 pour 10.000 habitants à l'horizon 2020 et à améliorer la distribution des services médicaux dans l'ensemble du pays. La ministre de la santé Yasmina Badou s'inscrit dans cette logique, elle est aujourd'hui la dépositaire de ce dossier.

- Stratégie pour atteindre les objectifs escomptés : Pour atteindre les objectifs de l'initiative gouvernementale, la stratégie proposée repose sur : 1 / Le renforcement de la capacité de formation
- Augmenter le nombre d'inscrits dans les quatre facultés
- Construire 5 nouvelles facultés d'ici 2020 2 / Renforcer et étendre les sites de stage :
- Assurer des moyens de formation additionnels
- Inclure les centres hospitaliers provinciaux et régionaux dans les sites de stage
- construire 5 nouveaux CHU d'ici 2020 3 / Renforcer l'encadrement
- Ouverture des CHU DE Marrakech et de Fès, c'est-à-dire qu'ils doivent être totalement opérationnels.
- Attribution des postes budgétaires nécessaires pour l'encadrement pédagogique et administratif 4 / Accréditation Engagement des facultés de médecine dans un processus d'assurance qualité et d'accréditation. Jusque-là tout est parfait pourrait-on dire, car le bon sens nous incite à adhérer à cette approche qui, en définitive, porte en elle beaucoup d'éléments positifs qui visent à assurer un meilleur état de santé à la population marocaine.

- Contraintes et risques d'échec de la stratégie proposée : Si la stratégie proposée par le gouvernement pour atteindre les objectifs de l'initiative gouvernementale, est un scénario fort plaisant comme dans certains films américains ou tout est beau, ludique, comme dans la série « URGENCES », la situation qui nous intéresse, c'est-à-dire la situation au niveau de nos CHU, doit en toute bonne logique nous inquiéter et nous pousser à réagir afin de remédier à ce qui peut encore l'être car ils sont loin d'être parfait et à bien y regarder on découvre des choses qui ne font pas plaisir à voir...

- Situation au niveau du CHU de Marrakech : Le retard enregistré pour l'ouverture de ce centre par rapport à la date avancée prête à confusion, le matériel biomédical, dont le budget est estimé à plus de 100 millions de DH, a eu lieu avec les conséquences liées à sa non utilisation, qui est responsable de cette situation ? Qui doit rendre des comptes ? D'une capacité litière de près de 915 lits l'ouverture de ce CHU devait se faire en deux tranches. La première tranche (hôpital mère – enfant) était prévue pour 2005. Ce n'est que le mercredi 27 février 2008 que Sa Majesté le Roi Mohammed VI a procédé, à Marrakech, à l'inauguration de l'hôpital « Mère et enfant », qui constitue la première phase du Centre hospitalier universitaire (CHU) Mohammed VI, un projet d'un coût global de 500 millions de dirhams. La première phase de ce projet (l'hôpital Mère et enfant) a été réalisée grâce à un investissement de 230 millions de dirhams, dont 130 millions consacrés aux études et aux constructions et 100 millions aux équipements et au matériel biomédical. D'une capacité d'accueil de 247 lits, dont 73 lits au sein de « l'unité de la mère » et 174 lits dans celle de l'enfant, cet hôpital comprend notamment des services hospitaliers et médicaux, des blocs opératoires, des services de réanimation, des salles d'accouchement, un service des urgences, ainsi qu'un service de diagnostics et de diagnostics fonctionnels. Reste bien entendu le problème des ressources humaines (médecins, infirmiers et administratifs) qui sont le fer de lance de tout établissement hospitalier, sont-ils en nombre suffisant ? Le ministère de la santé a-t-il prévu d'allouer les postes budgétaires pour les médecins et les infirmiers ? En ce qui concerne la deuxième tranche, celle–ci devait en principe être réalisée en 2009, mais il y a eu résiliation de contrat avec l'entreprise chargée des travaux pour des raisons que nous ignorons, à moins que celle-ci n'aie fait faillite comme dans les romans. Dans tous les cas de figure c'est du temps perdu, de l'argent parti en fumée, un gaspillage qui ne dit pas son nom. Aux dernières nouvelles, nous apprenons que la fin les travaux du CHU est prévue pour 2012, soit un retard de plus de trois ans.

- CHU de Fès : Les travaux ont pris beaucoup de retard, et si aujourd'hui l'ouverture de ce CHU s'est réalisée ce n'est pas sans quelques ratés (ascenseurs ne pouvant contenir les lits, quelques petits problèmes d'architecture, le tout ayant nécessité des réfections avec tout ce que cela sous-entend. En outre, il y a un réel déficit en personnel infirmier qui est estimé à prés de 300, le CHU a besoin pour son fonctionnement de près de 1400 infirmiers et 320 personnels administratifs et de soutien. C'est bien beau d'avoir des structures flambant neuves, mais si le personnels fait défaut bien des services seront obligés de fermer.

- CHU d'Oujda : Alors que la date du début de fonctionnement a été fixée, le taux de réalisation des travaux, l'acquisition de matériel, la prévision des postes budgétaires et la politique de préparation des futurs enseignants ne sont pas disponibles. Il n'est pas mentionné non plus de moyens additionnels pour la formation. Le plus grand amphithéâtre prévu est de 150 place alors que l'initiative prévoit 200 inscrits en 2009-2010 puis 300 en 2010-2011 et 400 en 2011-2012.

- CHU de Casablanca et de Rabat : Il n'y a pas de moyens additionnels pour la formation, et les étudiants ne cessent de se plaindre à cause des conditions dans lesquelles ils travaillent, les terrains de stage ne sont pas adaptés, l'encadrement dans certains services fait défaut, parfois le strict minimum n'est pas disponible pour pratiquer dans de bonnes conditions de sécurité pour le malade et pour les étudiants. Les citoyens ne sont pas en reste. Eux aussi ne cessent de se plaindre, ils sont souvent soumis à des procédures indignes d'un service public. Au niveau des urgences. Il faut payer pour avoir accès à la consultation, et ensuite repayer pour la radiographie ou le scanner, mais alors pourquoi dans ces conditions on nous rabâche les oreilles avec les fameux slogans « La santé pour tous » ou encore « L'hôpital est ouvert à tous sans aucune distinction »... La liste des dysfonctionnements est longue, mais ce qui est bon à retenir, c'est que l'actuel état de nos CHU reflète une mauvaise gestion, une mauvaise gouvernance.

- L'homme qu'il faut à la place qu'il faut : Comme on le voit, il y a des dysfonctionnements ici et là qui en disent long sur la manière dont est géré aujourd'hui le CHU au Maroc. On ne comprend pas se qui se passe. Nous avons des infrastructures valables, des compétences reconnues, des équipements de haut niveau, mais quelque part ça coince. La gestion et la gouvernance de nos CHU doit en toute bonne logique être confiée à une nouvelle génération de directeurs ayant toutes les qualités et les conditions pour faire partie d'une nouvelle élite de managers car au moment où des réformes essentielles justifient la mobilisation de tous (stratégie 2008/2012 du ministère de la Santé) telle que présentée par madame la ministre de la Santé à l'ensemble des responsables (délégués, directeurs des CHU, directeurs des hôpitauxÉ), au moment où la tension sociale est très forte (les débrayages et les appels à la grève), confier la gouvernance d'un CHU à des personnes qui n'en sont pas capables est en décalage avec l'efficacité recherchée. La ministre de la Santé ne cesse de crier haut et fort qu'il y a urgence à changer les pratiques, que l'heure est à la mobilisation, elle est consciente que le monde hospitalier est mal en point. C'est vrai nous constatons une réelle lassitude qui parcourt le personnel qui est démotivé, pénurie, efficience insuffisante sont autant de symptômes indiquant que beaucoup d'établissements ne sont pas encore prêts à relever les défis qui se posent aux hôpitaux en particulier les CHU. Il y- a donc urgence à agir. Dans cet environnement complexe, un directeur de CHU digne de ce nom ne peut plus mener son entreprise seul et de façon autoritaire, tout cela est dépassé. Il doit être un chef d'orchestre qui rassemble, inspire et mobilise ses collaborateurs au lieu de créer un climat malsain et de chercher en permanence à diviser. Il doit disposer d'une équipe de professionnels qui puisse Ïuvrer à ses côtés afin de permettre au CHU de remplir sa mission. Leader autant que manager, entrepreneur autant que réalisateur, créatif autant que rigoureux et exigeant, c'est le profil multiple que doit avoir le directeur d'aujourd'hui, mais est-ce réellement le cas ? . C'est l'ère du Nous et non plus du Je (primauté à l'équipe). Le manager d'aujourd'hui est au bénéfice d'une formation universitaire, d'une solide expérience et d'une culture conciliant esprit d'entrepreneur, empathie et confiance en soi. Fédérateur, visionnaire, dynamique, il voit les changements en cours comme une chance à saisir. Il est malheureux de constater au détour de discussions avec les uns et les autres, que le seul souci, la seule préoccupation qui hantent certains directeurs c'est de savoir ce qui va leur arriver au terme des six mois accordé par la ministre de la Santé plutôt que de se remettre en question chaque jour et de dire ce qu'ils peuvent faire de plus pour rehausser le niveau de nos structures hospitalières.

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5 octobre 2008