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Othman El Kheloufi ou l’enfant terrible du jazz marocain à Essaouira

Interview portrait
Nathalie PERTON
Editor Made in Essaouira
3 janvier 2016

Son jazz est insoumis, indiscipliné tout en étant extrêmement talentueux. Inclassable. Choisi par des monstres comme le trompettiste Ibrahim Maalouf ou le clarinettiste David Krakauer pour jouer avec lui ; il est selon nous aussi, l’étoile montante du jazz marocain. Il jouait mardi 29 pour la seconde soirée du festival Jazz sous l’arganier à Essaouira. Nous l’avons rencontré pour vous !

Othman El Kheloufi est extrêmement attaché à Essaouira, nous confie-t-il, cette ville le calme, l’apaise, lui et son inépuisable énergie créative.

Coq berbère, indomptable et beldi

Othman entre sur scène avec la ghaïta, d’ailleurs pas en scène mais par le public. Plutôt sec, de ceux qui dispensent généreusement leur énergie ; avec un visage aigü, un nez aquilin, dans le physique comme dans la musique il est d’ailleurs, il pourrait être hongrois ou tchèque. Mais surtout on le sent dès le départ, il a l’audace des meilleurs, l’impertinence de ceux qui ont le talent avec eux. Il donne le ton, nous emmène dans son univers, parce qu’Othman est bien plus qu’un musicien, un joueur de saxophone, même s’il excelle en la matière. Il est aussi créateur, metteur en scène, conteur, chanteur et nous embarque dans son monde avec son premier morceau : "le coq berbère" et définit son jazz beldi, ce jazz beldi qu'il a ainsi nommé alors que ce n'était pas du tout à la mode, il y a de cela plusieurs années ; pour définir le courant musical duquel il se sent le chantre, qu'il aimerait voir se développer. Un jazz racé, exigeant mais populaire à la fois. Souvenir d'une soirée à la Place Jemaa El Fna, un musicien traditionnel portant un coq sur la tête et jouant avec une fougue mémorable... Othman on pourrait le retrouver à sa place ou en République Tchèque tant il a l’empreinte aussi jazz manouche ; l’identité plurielle créant une multitude d’influences cristallisées par son énergie. Son univers sonore a le grain du jazz comme on l’aime, celui qui vous bouscule, vous surprend ; chaque morceau ayant des lignes mélodiques qui dialoguent s’entrechoquent, se rencontrent. Jamais il ne tombe dans la facilité, toujours la ligne se brise et vous surprend, vous embarque. C’est du jazz slave, c’est de l’énergie et de la funk de l’époque des JB’s qui donne chaud et fait danser, c’est du jazz d’impro, c’est de la bonne, très bonne musique. Et c’est aussi de la musique live qui mérite d'être vue et ressentie car Othman se donne sur scène et vous en donne de l’énergie qui étincelle.

Influences et alchimie 

Lors du concert d’Ibrahim Maalouf au festival gnawa d’Essaouira, je le nommais l’alchimiste. Si le jeune homme de Salé (je dis jeune homme car il l'est jeune, et me revient la réflexion d’un spectateur dans la salle pendant le concert : "c’est un virtuose, à son âge, il joue tellement bien !") n’a pas encore la célébrité de son maître Ibrahim, il en est l’héritier. Il a fusionné ses influences, nombreuses : "de Paquito de Oliveira à Charlie Parker à Amira Medounjanin, chanteuse de Sarajevo en passant par Ziahd Rahbani, fils de la célèbre Fairouz ou David Krakauer". (C’est au premier ; Paquito de Oliveira, qu’il conseille à ses musiciens de se référer pour les solos). Othman en toute chose a ce côté "électron libre", provocateur qui ne peut se satisfaire de ce qui emprisonne, ce qui clôture. S’il y a des limites (y en a-t-il ?) c’est celles de son imagination créative et foisonnante alors autant vous dire qu’elles sont inaccessibles… On comprend vite qu’Othman ait été choisi par les plus grands : invité à Jazzablanca sur scène avec Ibrahim Maalouf, cette année par David Krakauer lors d’un événement de la maison Selmer ; il a en lui l’envergure, le talent de ces grands-là.

De sa bouche...

De sa bouche s'exhale des mélopées... Othman joue, parle, chante. Il énonce et scande des phrases mélodiques,de sa bouche; de son sax'. Changeantes, volontairement dissonantes. Même quand il joue ; il nous raconte. C’est pourquoi la meilleure façon de connaître Othman c’est de l’écouter, comme il se raconte. A chacun de ses morceaux précède une petite histoire, une anecdote. C’est "Lakja pour Elizabeth" où se confond un hommage aux musiciens de mariage qui selon Othman "sont ceux qui nous ont appris à battre la musique, à nos dépends puisque même dans notre lit, le volume de la musique nous faisait taper du pied quand il y avait une fête de mariage chez les voisins" à l’origine de son jazz beldi et référence aussi à une histoire d’amour… C’est qu’Othman se dit avant tout conteur, chanteur. D’ailleurs plusieurs de ses morceaux sont le résultat de création théâtrale, comme Trak El Jdida issu de la pièce du même nom. En aparté Othman est accessible, il sait être à l’écoute, il ne s’écoute pas parler. Comment d’ailleurs un si bon musicien en serait arrivé là s’il ne savait pas, aussi, écouter ? 

Always Essaouira

 Othman a de multiples encrages; parmi eux, Essaouira. Il l’affirme, il adore cette ville qui; à chaque séjour à une influence sur lui. D’ailleurs me confesse- t’il : "cela se ressent toujours au retour, sur ma créativité". Aussi dans ce lien il y a ce premier concert, l’un des plus beaux concerts intimistes qu’il ait fait et où je l’ai découvert "il y a bientôt trois ans, quand j’étais encore avec le Othman El Kheloufi band et que nous avons joué à l’Alliance française d’Essaouira. Un concert d’exception où le public a fini en liesse ! Un de mes plus beaux concerts intimistes" Son lien avec Essaouira est continu, en février il était au studio Kelmi en résidence avec le batteur qu’on ne présente plus ; Karim Ziad, aussi programmateur du festival gnawa d’Essaouira depuis 10 ans et le pianiste virtuose Omri Mor, venus jouer son jazz beldi ! Et Othman ne cache pas sa fierté ! Et nous on imagine ce que ça a pu donner de talents rassemblés et des surprises que cela promet. D’ailleurs Othman a vécu sa première fusion avec les gnawas - on se demande pourquoi cela n’était pas arrivé plus tôt tant c’est évident que son style s’adapte parfaitement à la fusion gnaoua- lors du dernier jour, le concert hommage à Mahmmoud Guinéa à Dar Souiri, accompagné par les fils de Mahmmoud, un moment de musique rare ; là aussi nous laissant plein d’espoir quand aux surprises que cela pourrait nous réserver. 

Le festival Jazz sous l’Arganier, première édition

Ce qu’il en pense: "je suis très heureux que ce festival s’ajoute au paysage musical marocain. Que cela soit à Essaouira est tout à fait logique, la ville s’y prête et la période choisie est idéale. Ce qui m’a surpris c’est la très belle programmation de musiciens marocains, ça m’a fait chaud au cœur, le jazz du Maroc, des jazzmen comme Bekkas ou Mahmoud Chouki qui portent le jazz à leur manière, exceptionnelle."Si le lieu du So Lounge, habituellement discothèque était peut être un peu froid pour Othman, si on sait que cela ne lui a pas permis de donner toute l’essence de son talent, personne ne s'y est trompé et il a été découvert et encensé par le public Souiri, André Azoulay le premier, se posant en fan et scandant des "bravos !"de son coin caché et il nous a tous convaincus que nous étions en face de l'une, peut être LA promesse du Jazz marocain.

Texte Nathalie Perton
Photo DR Baptiste DVA 

Nathalie PERTON
Editor Made in Essaouira
3 janvier 2016