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Miloud Chaâbi : l’homme nous a quittés, la légende demeure

Itinéraire
Nathalie PERTON
Editor Made in Essaouira
18 avril 2016

C’est d’abord l’histoire d’un "blédard qui a bousculé les richards", comme le présentait le journal Tel Quel, qui sera toujours dans les esprits. Le self-made-man né dans les hauteurs d’Essaouira nous a quittés le 16 avril dernier. Devenu seconde fortune du Royaume, il avait envoyé valdinguer tous les clichés et tous les stéréotypes...

Entrepreneur, homme politique aux méthodes étonnantes, il n’a pas toujours été aimé. Homme au franc- parler il a gêné par ses saillies verbales. Electron libre il a fait des choix, comme lorsqu’il défilait avec les jeunes le 20 février 2011.

Un petit berger au caractère bien trempé venu des hauteurs d’Essaouira

Si l’aspect caricatural du mythe Chaâbi a fini par en lasser certains, si cela n’a pas garanti sa notoriété au début –loin s’en faut- force est de constater que son histoire ne quittera pas de si tôt l’imaginaire marocain. Le petit berger qui a vu un de ses frères mourir de faim et sa sœur mariée pour 16 brebis, a réalisé une ascension à faire pâlir les histoires de self-made-man à l’américaine.

Né en 1930 dans la région d'Essaouira, Miloud fuit sa vie de jeune berger quand, à 12 ans, une des brebis dont il avait la charge est mangée par un loup... De son parcours spectaculaire dans les affaires, de sa verve et de son franc-parler légendaire, de sa mémoire d’éléphant et sa rancune tenace, mais aussi de sa foi et et de son bon cœur : tous parlent et lui rendent un hommage unanime. Pourtant, populaire, il ne l’a pas toujours été, sorte d’électron libre, autodidacte atypique dans un univers d’héritiers, Miloud Chaâbi va vagabonder pendant ses premières années de "fuite" et cumulera les petits métiers. A Kénitra, où il deviendra maçon. Il a 18 ans quand il devient patron de sa première entreprise de construction avant de se lancer dans la promotion immobilière, et de devenir fondateur de la célèbre Ynna Holding, un empire multiforme qui va générer 10 milliards de dirhams de chiffre d’affaires par an. L’haj Miloud était en effet à la tête d'un empire : un groupe de plusieurs entreprises dont la SNEP, la chaîne d’hôtels Ryad Mogador, Super Cerame, GPC Carton, Chaabi Lil Iskane, la chaîne de supermarchés Aswak Assalam... 

Corsaire des affaires et de la politique…

Si l’ascension de M. Chaâbi est fulgurante, il a pourtant connu plusieurs déboires face à l’establishment politico-financier. Les domaines s’enchevêtrent du fait même de son caractère, son image d'homme du peuple ne lui ayant pas valu que des éloges. Au contraire, il dénote trop, parle mal le français, n’est pas issu d’un microcosme ou d’une famille connue… Mais Chaâbi ne lâche rien et affirme sa réputation de flibustier des affaires notamment lorsqu'il parvient à racheter Dimatit qu’on lui refusait depuis tant d’années par une pirouette géniale (créant une société de tuyauterie rivale qui opérera une guerre commerciale sauvage contre Dimatit jusqu’à l’avaler.) Elu au Parti du Progrès et du socialisme avec lequel il fut député de la ville d’Essaouira aux élections parlementaires de 2007, ce berger au parcours hallucinant a enfin été reconnu et honoré par le roi Mohamed VI qui lui accordait en 2005 le titre honorifique de Wissam Royal, au sujet de quoi il a même déclaré que le Roi "lui avait rendu sa dignité". Miloud Chaâbi suit les projets du Roi en investissant tantôt à Tanger, tantôt à Laâyoune.

Complexe, libre et généreux

C’est l’histoire très résumée d’un homme aux mille facettes, libre d'actes et de paroles, un homme tout-puissant et au-dessus des clivages des partis et des étiquettes. C'est l'histoire d'un entrepreneur et homme de foi étonnant dont le mythe raconte qu’il faisait mugir l’appel à la prière de sa grande mosquée pour repousser les français de Kénitra et leur racheter leurs maisons. Un homme qui brassait des milliards mais c’est aussi le même homme qui s’est forgé une image de bienfaiteur particulièrement au profit de son douar natal et de la région d’Essaouira. Il a d’ailleurs créé une fondation pour l’action à l’aide sociale dont il disait avec malice qu’elle était "plus puissante que le ministère du Développement social de Nouzha Skali".
C’est l’histoire aussi de ce millionnaire qui a toujours mis un point d’honneur à payer la Zakat (impôt coranique). C’est l’histoire d’un berger Souiri qui a conquis le monde.

Texte Nathalie Perton
Photo DR 

Nathalie PERTON
Editor Made in Essaouira
18 avril 2016