Hafid, vannier à Essaouira

Pour un âne
Nathalie PERTON
Editor Made in Essaouira
8 avril 2015

Ceux qui vivent à Essaouira l’ont déjà rencontré, son regard et ses figurines : le petit âne, la tortue, le lézard… Et ceux qui ont des enfants ont déjà succombé et acheté une de ses figurines, peut être le petit âne, si évocateur de nos régions avec ses paniers. Il s’appelle Hafid et Made in Essaouira l’a rencontré pour vous.

Nomade

Il fait partie du décor, de ces figures de la médina que l’on croise constamment, sans bien y prêter attention et qui sont extrêmement difficiles à trouver quand tout à coup on les cherche. Pas facile d’attraper Hafid car il est ambulant, ses économies ne lui ayant pas permis de se sédentariser. Il arrive très en retard à notre rendez-vous. Désinvolte mais pas nonchalant, sec et alerte : un jeune homme de 54 ans, se mouvant de son corps-brindille comme celles qu’il tressera sous nos yeux ensuite. Il partage avec d’autres une certaine attitude, ce regard rieur et tendre de ceux qui voyagent léger mais semblent s’en porter à merveille. On le suppose car Hafid ne parle pas français, il nous confiera ne pas avoir été à l'école et c’est à l’aide d’une traductrice que nous nous adresserons à lui.

La vocation ?

C’est curieux de parler de vocation, pourtant il s’agit bien de quelque chose de ce genre car Hafid n’a pas reçu son savoir-faire, celui qu'il exerce depuis plus de vingt ans ; d’une mère ou d’une grand-mère. Sa famille, il n’a pas l’air de vouloir en parler. Hafid vient du village de Tiguelat, à environ 20 km sur la route de Marrakech. Lorsqu’on lui demande comment il en est venu à la vannerie, il nous fait cette réponse inattendue : "J’étais malade, alité et cela faisait plusieurs mois que je n’avais rien, pas un sou. J’ai vu passé devant chez moi un petit âne, à ses pieds des joncs séchés. Et je me suis dit que peut être je pourrais moi aussi faire un âne avec ces joncs." On ne lui a pas demandé ce que signifiait le : "moi aussi". C’est ainsi que l’histoire d’Hafid, le vannier a commencé.

Hafid n’a pas trop envie de rester là à parler. Il regarde ses mains qui ont l’air un peu rêches et me demande s’il peut travailler pendant que je lui parle. Il s’assoie et s’empare de ses tresses, de sa grosse aiguille et commence à tresser, piquer, enfiler, tirer, couper.

Les outils

Lorsqu’on se renseigne sur le métier de la vannerie, on trouve de multiples outils pour l’exercice de la vannerie : sécateurs, pinces à bec rond, canif, fer à chlore, serpette… Hafid il a sa grosse aiguille (ou son gros crochet) et son couteau pour couper les fibres quand il a fait un tour. Et ses mains, qui n’en finissent pas d’exécuter ces gestes pendant qu’il me parle. Le premier ruban qu’il utilise est déjà tressé alors on lui demande pourquoi, il nous dit qu’il le tresse avant ou ses filles le font, pour l’aider. Le jonc où le trouve-t-il ? "La campagne en est pleine, je le ramasse dans la nature, après chaque pluie." 

Je regarde ces mains et me demande combien d'hommes ont fait ces gestes : ce qui fascine les gens dans l'artisanat c'est aussi ça, l'écho ancestral.

Savoir–faire séculaire

Parce que c’est de cela dont il s’agit, un savoir faire plus ancien que la poterie, vieux de 10 000 ans. Les pièces de vannerie les plus anciennes ont été découvertes à Fayum, en Egypte. Curieusement ces objets biodégradables ne peuvent se conserver qu’à des conditions très particulières et presque aux antipodes les unes des autres : sécheresse (comme en Egypte) ou à l’inverse en milieu anaérobique dans les lacs.

Peut-être est-ce ce genre de particularités qui font dire à Hafid que cette fibre est "propre" - il la porte à la bouche et l’embrasse.

Effectivement, les objets de vannerie ont toujours été utilisés comme filtres, tamis, au travers l’histoire. La vannerie au cours de siècles ce sont des dizaines de fibres différentes : saule, osier, roseau, rotin, bambou, noisetier, châtaigner, vannerie de bois : chêne, bouleau, tilleul… Vannier de palmier doum (celui qui d’ailleurs est normalement utilisé pour la vannerie au Maroc), vannerie de crin de cheval au Chili !
Allant de matières épaisses et rigides (saule, châtaigner) aux plus souples et fines (roseaux, carex…) et de techniques diversifiées : vannerie spiralée, vannerie à nappes, croisées ovales, croisées rondes… La technique d’Hafid semble pouvoir être affiliée aux deux premières. Mais on suppose qu’Hafid serait bien perplexe devant toutes les explications techniques que l’on peut trouver dans les ouvrages et sur internet au sujet de la vannerie. Il existe même de nombreuses écoles d’apprentissage de la vannerie.

Hafid regarde très peu son ouvrage. Son geste continue. Il nous regarde dans les yeux en parlant, il dit que "oui" son métier lui plait et qu'il aimerait faire ça toute sa vie.

Les rêves du vannier

Hafid est fier de vendre ses objets aux touristes et aux locaux. Avant il travaillait pour de la vannerie plus "lourde" (chaises, parasols...) Mais il est tombé malade et a été hospitalisé longtemps. Il n'a donc pu continuer.

Il est souvent entouré des tableaux des vendeurs subsahariens. Quand on lui demande si il a des problèmes dans la rue avec les autres marchands, il répond que non "Ce que je fais n’est pas du tout la même chose ! " C’est clair qu’il propose un produit typique, unique et écologique ! 
Alors on lui demande si ça marche et pourquoi il n’a pas entreposé ses animaux de jonc dans une boutique, en dépôt ? Hafid répond qu'il l'a fait mais qu’avec les boutiques il gagne très peu et préfère travailler librement. "L’été parfois les touristes achètent à de bons prix" – le maximum qu’on lui ait donné c’était 150 dirhams ! Mais Hafid reconnait que la plupart du temps c’est dur et qu’il aimerait au moins pouvoir envoyer tous ses enfants à l’école.
Ce dont il rêve ? Un four pour faire le pain et son grand rêve : une boutique. Alors si l’un de vous a envie de parrainer un artisan, un homme tombé du ciel, avec son âne et son savoir–faire millénaire, un vannier qui avec son petit âne incarne tout d’un Maroc que parfois l’on égratigne mais que nous aimons tant, vous le trouverez au recoin d’une porte où choir ou d’un patio à la médina. Pour le sourire de votre enfant et ce que vous voudrez bien lui proposer, Hafid offre parfois un petit âne ou une tortue pour ce que vous proposerez, car il est toujours attendri par les enfants. Mais comme ce n’est pas à ce rythme là que tous ses enfants à lui iront à l’école, donnez plus qu’il ne vous demandera et pour 50 ou 100 dirhams vous emporterez un objet d’artisanat ancestral marocain et un petit âne, symbole de l’inspiration d’un homme de la campagne.

Texte et photo Nathalie Perton avec l’assistance - traduction de Mariam Bekkari

 

Nathalie PERTON
Editor Made in Essaouira
8 avril 2015