Essaouira au coeur de l'Afrique

Nathalie chez les Gnaoua
Alice Joundi
Editor Made in Essaouira
14 juin 2014

En pérégrinant dans les rues de la belle souirie, même à deux heures du matin, vous croiserez la cohorte étrange de badauds secoués de secousses, dodelinant de la tête et arborant une super banane. On y est, on est « pris », ils ont tous été pris, pris par l’ambiance du festival gnaoua. Et Nathalie aussi. Elle vous dit les temps forts, les moments privilégiés, les anecdotes et secrets du festival : comme si vous y étiez…

Nous avons voulu vous proposer un petit conte initiatique, une promenade en festival gnaoua. Car comment vous retranscrire tous ces moments extraordinaires, égrenés au long d’une journée de festival ; depuis le forum sur l’Afrique jusqu’à tard dans la nuit et les dernières scènes intimistes à vous qui n’avez pas pu y être, vous qui êtes à l’étranger ou malade ou qui croulez sous le travail… 

Comment le festival permet de repositionner l’Afrique au cœur de nos préoccupations ?

Après une courte nuit on se réveille au son des crotales scandant les rythmes des mââlmines dans nos esprits. Le fer s’y frotte et nous rappelle, dès le réveil, que nous sommes au deuxième jour et n’avons pas de temps à perdre. Notre Nathalie est fière, elle connait le nom de nombreux maâlmines, elle sait ce qu’est une derdeba, une moqadema, elle connait la musique de nombreux artistes venus se produire en fusion avec les gnaoua, bref elle connait. Elle est aussi grisée des concerts à venir, de l’exaltation future procurée par les guembris, les interviews de stars internationales, les artistes à rencontrer, bref, elle est heureuse.
Mais elle doit se dépêcher, se presser de rejoindre l’un des événements majeurs de cette dix-septième édition: le Forum du festival sur "L’Afrique à venir". Avant cela, un thé ou café fort s’impose pour pouvoir tenir et une recherche furtive d’une tenue adéquate. Car le festival gnaoua, s’il n’est pas le carnaval de rio, exhorte ses adeptes à se vêtir « gnaoua », un quelque chose de stylé, un petit détail, un chapeau, un chech, un accessoire. Ce sera fait, un chech bleu façon « Arafat girly » nous protégera du vent et de la banalité ;  nous voilà propulsés, salle Caravelle de l’Hotel Atlas pour assister aux deux premiers panels d'échanges. Outre l’impolitesse bruyante de certains de nos chers confrères de presse, nous assistons à une conférence enthousiaste sur les liens qui unissent l’Afrique et le Maroc et leur devenir, lesquels liens exacerbés par les fusions musicales du festival, ont parfois pu donner le sentiment d’être un peu oubliés le reste de l’année. Pourtant il n’en est rien, sur l’estrade, professeurs émérites et intellectuels se succèdent en argumentant sur les liens continus de l’Afrique et du Maroc et les pistes de solutions proposées vers cette Afrique en devenir. Si chaque intervention est riche de ce qu’elle retrace l’histoire de ces rapports ou de ce passé commun, nous retiendrons l’intervention de Mostafa Hassani Idrissi, didacticien expert à Rabat, citant Marc Augé et nous invitant à « une utopie de l’éducation » afin de palier aux lacunes historiques des programmes concernant l’histoire de l’Afrique ou Khalid Chegraoui, professeur à l’Institut des études africaines et sa mise en lumière des peuples du Maghreb sous un angle Africain.

L’impromptu des Palabres : auprès de Mario Canonge pour prendre le thé

Parce qu’elle l’avait voulu sous un arbre mythique et qu’elle le voulait informel et spontané, Emmanuelle Honorin a créé pour nous un événement mythique depuis 2006. Une sorte de « parenthèse enchantée », rencontre entre artistes tête d’affiche, intellectuels, spectateurs lambdas. 
Depuis neuf ans donc l’équipe de l’arbre à Palabres nous permet de côtoyer les plus grandes stars (demain samedi Marcus Miller et aujourd’hui Mario Canonge) pour créer des ponts entre les gens, les disciplines, converser, fusionner, créer une synergie exceptionnelle. Car si elle se veut désinvolte, cette palabre sur les terrasses de l’Alliance franco-marocaine nous offre toujours des moments exceptionnels ; aujourd’hui les parallèles évoqués par Mario Canonge entre la musique et le culte gnaoua et le gwoka ou le gand bélé créole, le parcours du Mââlem Kouyou, initié par sa mère au culte gnaoua, la discussion autour de la prééminence de la musique et du « show » du festival sur le culte. Ou encore les couleurs des habits des Mââlemines (le Mââlem Sidi Oughassal arborant ses superbes costumes bariolés), le parcours initiatique de Sefarat Al Khaafa, initiés par le Mââlem Abdelazziz Soudani (qui pour les connaisseurs avait déjà initié Olivier Owen il y a déjà quelques années).
Mais l’arbre à Palabre c’est aussi de la musique live, des improvisations, comme celle de Foulane et de son ribab magique, celui qu’il décrivait avec tant d’humour comme « l’instrument de musique le moins cher au monde ».

Les sons, les fusions de ce vendredi !

L’adepte du festival qu’est Nathalie veut bien discuter, converser, polémiquer même s’il le faut, mais avant tout elle veut écouter les Mââlemines, les fusions et danser ! D’ailleurs elle n’est pas la seule, dans la foule on croise indifféremment  M. Azoulay, Hindie Zarah et d’autres personnalités. Ce deuxième jour est très riche ; une fusion en soit créée par « Kif Samba » (groupe d'Essaouira) et sa performance jazzy- funky-gnaoui qui a fait groover les spectateurs de la scène de la plage ; les accents de jazz créole de Mario Canonge , sa dextérité splendide évoquant le St Thomas de Sonny Rollins ou des mélopées des Pharaoah Sanders ; lui qui nous révélait lors de son interview que la spiritualité et le caractère mystique de la musique gnaoua l’avaient profondément touché. La superbe fusion avec le Mââlem Kouyou, son « Sidi Moussa » repris par les spectateurs en liesse ; l’hypnotisation frénétique créée par le Maâlem Brahim Belkhani en concert intimiste à Dar Souiri et enfin l’afro- jazz de Bassekou Kouyate et sa famille de joueurs de n’gonis, cet instrument traditionnel qui n’est ni une cora ni un oud ni un guembri… 

Et alors Nathalie, la tête pleine de sons, les jambes engourdies de danses et d’images et de foules en joie va se coucher. Les mots et les histoires résonnent et elle se dit qu’elle en sait tellement plus sur les gnaoua, leurs cultes, ces artistes internationaux et ces Mââlems ! Elle est heureuse, exaltée et fière. Tellement qu’elle aimerait bien que ça continue encore un peu plus, tellement que plus elle en apprend plus elle réalise qu’il lui faudra bien encore quelques vingtaines d’éditions avant qu’elle puisse prétendre tout savoir sur les Gnaoua ! Un petit sentiment de découragement ou de tristesse à l'idée de la fin irrémédiable de ce moment si particulier... Mais il reste encore deux jours, vite allons- nous coucher, reprendre quelques forces avant de recommencer!

Les photos des concerts et moments intimistes en ligne sur notre page Facebook.

Texte Nathalie Perton
Photo Alice Joundi 

Alice Joundi
Editor Made in Essaouira
14 juin 2014