Essaouira : à nos brillants héros de la mer

Guilloul / Adarzane : portraits de champions
Nathalie PERTON
Editor Made in Essaouira
12 novembre 2014

Champions sur la scène internationale, tous deux sur la première marche du podium ; l’un en windsurf, à Hawaii. Deux héros de la mer. Tous deux souiris. Tous deux sont des virtuoses de la glisse, des riders téméraires élevés dans la houle impétueuse d’Essaouira. Des homme-poisson, des hommes volants, véritables watermen. Pourtant, tout les oppose...

... De leur physique : l’un, léger et élastique, l’autre, massif et sculpté, à leur style : aérien et versatile pour l’un et puissant et radical pour l’autre et leur philosophie de vie, diamétralement opposées. Tout sauf leur fascination pour la mer et leur talent et peut être cette étincelle, un petit brin de folie qui les rend atypiques, un peu fous, électrons libres. Parce que ce genre de petits génies ne sait pas toujours se livrer, nous les avons interviewés mais avons aussi interrogé leurs proches. Portraits de nos deux héros de la mer souiris.

Celui que nous présenterons en premier, car il fallait bien un premier, c’est Boujmaa Guilloul, l’aîné des deux –de peu- qui vient de souffler sa trentième bougie mais est déjà célèbre dans le monde de la glisse. Vice-champion de la compétition américaine de Windsurf 2015 (American Windsurf Tour) aprè savoir gagné l’Aloha Classic à Maui, Hawaii, en 2014, étape mythique du windsurf sur vagues après de plus " modestes victoires" comme il le dit lui-même sur le pro tour.

Le free wave rider

Zoom sur ses débuts : Guilloul, élevé par sa mère se "fait" un peu seul. Très sportif, il s’essaye au foot, karaté, basket, mais "tombe" dans le windsurf lors de la venue d’une championne de windsurf, Caroline Haslin. C’est comme en amour qu’il tombe dans ce sport pour ne plus jamais le lâcher. D’un milieu modeste et sans coach pour l’aider, Guilloul progresse seul ; il sera aidé plus tard par son ami Fettah Lamara. Au moment de passer son bac, il obtient une wild card pour Hawaii et fait le choix définitif de devenir professionnel, et il y parvient mais la victoire a mis du temps. C’est son amie Catie Brossard qui nous livre la première l’explication de cette victoire "tardive" : " Boujmaa a plutôt le profil du free wave rider, il est parti en trip avec les plus grands noms du surf, a certainement tapé dans les plus belles vagues et a un press-book impressionnant et des parutions dans les magazines spécialisés du monde entier, mais il n’est pas compétiteur- né."  Quand on le questionne sur son palmarès il est d’ailleurs vague : "Je ne sais plus ma première victoire je pense que c’était au Windsurf challenge au Maroc en 2007, après j'ai eu quelques résultats modestes sur le tour entre autres, 5e a l'étape de la coupe de monde au Portugal, 7e au Cap Vert, 7e au Canaries, et 2e a une autre étape de Windsurf Challenge à Dakhla et 3e au windsurf challenge de Madagascar."

Fou de la mer

Néanmoins Guilloul fascine pour plusieurs raisons ; son style d’abord, car Guilloul exécute les mêmes figures que les autres, mais sa silhouette svelte vrille beaucoup plus, c’est assez spectaculaire et les sponsors ne s’y trompent pas; parient sur lui, dès le début et ne le regrettent jamais. Il est charismatique, atypique. Il faut voir Guilloul en acrobate entre vague et atmosphère. Il dépasse la barre des 19 mètres en jump, crée des figures comme le célèbre black shot. Les fanas de vagues se souviennent de sa tentative de triple loop à Hawaii où, venant de trouver une bonne rampe de lancement sur une vague et arrivé au point culminant de son saut à une douzaine de mètres de haut, il enclenche une première rotation puis une deuxième. Sur la troisième, Boujmaa fait un plat et heurte le plan d’eau de plein fouet. A cette vitesse et depuis cette hauteur, le choc est extrêmement violent. Touché à la tête, Boujmaa Guilloul perd connaissance dans l’eau et commence à se noyer, ce qui serait probablement arrivé sans l’aide de Klaas Voget et de Fernandino Loffreda. Après trois jours d’hospitalisation, de l’eau dans les poumons, de multiples contusions ; il s’en remet ; toutefois cette blessure et d’autres encore soignées à Essaouira sans réelle rééducation propre à l'athlète qu'il est, ont certainement ralenti sa carrière, mais quand il raconte cet accident Guilloul rétorque : "c’était la rampe pour le faire et c’était le moment." Alors fou de la mer ou inconscient ?  

Le "gourou"

Guilloul, passionné, sans limite; participe au Red bull stormchase - où des riders internationaux affrontent en windsurf les plus grosses tempêtes de la planète - et l’hiver dernier en surf à Anchor point (Maroc) il va chercher la gigantesque vague de la tempête Hercules à la rame et la surfe. C’est un fou de la mer, oui ; mais pas seulement. Guilloul n’a pas peur des plus terribles conditions (quand on est formé à Moulay, Essaouira). Au-delà de ça; si l’enfant prodige fait des folies c’est pour se rapprocher de son rêve, son absolu, une sorte de quête spirituelle. C'est là un autre aspect de la personnalité du rider. Guilloul n’est pas seul, il a son don, ses rêves et sa foi. C’est un peu un mystique et son rêve, sa quête, il veut la partager, la transmettre. Il donne d'ailleurs des cours aux plus petits, c'est un messager plus qu'un compétiteurGuilloul il faut aussi s’asseoir à côté de lui et l’écouter. Le petit gars de Moulay, sorti des vagues a un charisme, une éloquence, il fascine. C’est certainement pour cela que le journal du windsurf titrait après sa victoire : "Nouveau prophète à Hookipa". En cela Guilloul est aussi magique, parce qu’à l’instar d’un gourou, d’un prêcheur il veut transmettre, et vous emporter dans son trip, sur ses vagues, dans son rêve. Cette dernière et magistrale victoire (même si un peu "tardive") annoncera, nous le souhaitons, une renaissance insoupçonnée.

Ismail Adarzane, son cadet de quatre ans, lui aussi né en novembre trimphait lors du Championnat de France 2014 de kitesurf, section vague. Lui aussi Souiri, élevé aux conditions difficiles et gardant de cette initiation une espèce d’assurance implacable. Ce n’est pourtant pas de l’arrogance, plutôt une connaissance profonde de la mer dans ce qu’elle a de plus extrême et l’adaptabilité qui en résulte par rapport à d'autres riders ayant fait leurs classes dans des spots moins turbulents ! Ce qui n’empêche pas de connaitre ses limites, au contraire ! Ce qui est frappant lorsque l’on rencontre cet athlète c’est qu’il semble avoir tout pour lui ; Ismail est un beau jeune homme d’abord (mais mesdemoiselles ne vous emballez pas, il est aussi marié et amoureux) et a surtout un charme incroyable malgré sa timidité. Tous ses proches vous le diront, il est très touchant et attachant.

Le petit dernier qui a tout pour lui ? 

Ses débuts : cette attraction singulière ne vient pas que dans son charme naturel. Adarzane est né dans une famille de surfeurs, encadré par ses frères. Croire que pour autant le champion aurait moins de mérite reviendrait à  commettre une réelle erreur. Pour en arriver là où il en est, le rider a dû combattre. D’abord une silhouette, qui s’apparentait d’avantage à celle d’un boxeur poids moyen qu’à un cavalier de vagues. Et pourtant Adarzane va surprendre et laisser les meilleurs riders sveltes cloués à leurs straps. Il est phénoménal en strapless (figures exécutées sans les straps: attaches sur la planche de kite) ; agile et aérien, contre toute attente, il s’envole avec une force démente et tranche l'air.
Si ses frères ont eu une grande influence sur lui, c’est sa volonté et son ambition qui l’ont poussé à persévérer. Il nous le raconte : "En 2007, j'ai commencé le kite, mes potes Hamid et Yassine m'ont tant donné envie d'en faire, j'étais encore au collège et n’avais pas les moyens pour acheter du matériel car ça coûte cher et c'était difficile à trouver. Mon premier Kite, il n'avait pas de bord d'attaque, on pouvait rien gonfler sur le Kite, une fois qu'il tombait dans l'eau c'était mort, il fallait tout recommencer à zéro. Je passais des journées entières sur la plage, c'était difficile de progresser avec, du coup j'ai motivé mon grand frère Rida pour qu'il s'y mette aussi, comme ça il pouvait acheter du bon matériel et moi en profiter. "

La soif d'apprendre

Cela le poussera à passer son diplôme de moniteur et il travaillera pour cela, d’ailleurs sa femme aussi le dit " Ismail a une capacité à apprendre, engranger des connaissances qui me sidère. Ambitieux et insatiable il est constamment à l’affût de nouveautés, il veut progresser, n’a jamais peur d’échouer." Car Adarzane c’est aussi l’ambivalence d’un personnage très doux mais aussi déterminé et perfectionniste. Certains l’ont connu un peu capricieux, caractériel, capable de se mettre très en colère et ils ont rapporté cela à son caractère de petit dernier, mais Adarzane c’est d’abord et avant tout une sensibilité à l’extrême, à fleur de peau, un homme de cœur, un passionné. Il a la fougue des gens entiers, généreux et un caractère un brin rebelle qui ne supporte pas l’injustice. Son talent lui permet de devenir un véritable électron libre du kite. Il a tissé ses victoires pour un joli palmarès à mesure qu’il grandissait, mûrissait : 10ème au PKRA (Professional Kiteboard riders Association) à Essaouira en 2010, 1er à la première coupe du Trône et champion du Maroc grand slalom, vagues à Dakhla en 2010, 1er au Festival International nautique de Rabat en 2010…

Adarzane c’est avant tout le cœur, la puissance, la passion

La passion pour l’eau d’abord, élément dans lequel il ne se sent quasiment pas de limite. Passionné dans la vie aussi avec "un tempérament de feu, une autorité naturelle, une puissance" (dixit sa femme), cette puissance que l’on retrouve quand il ride. Car c’est vrai, regarder "kiter" Adarzane c’est ajouter à la beauté aérienne, cette puissance qui fend l’air et les vagues, les cisaille. Adarzane aime une certaine ambiance dans l’eau, rider entre copains, mais il semble aussi qu’il n’ait besoin de personne sauf des gens qu’il aime et peut être de cette moitié qui lui manquait et qu’il a à présent trouvée (en la personne de sa femme, Sandra Adarzane Prévost). Aujourd’hui Adarzane a trouvé un équilibre, il s’est un peu "canalisé" si tant est que cela soit possible de canaliser une telle énergie, une telle sensibilité.

A l’heure actuelle, Adarzane est au Cap-Vert avec le champion Mitu Monteiro et nous promet encore de belles surprises ! Il a aussi des rêves, lui qui ne s’arrête jamais, qu’il nous confie : " Un de mes rêves c'est de Kiter dans la vague géante de Teahupoo." Qui sait ? Peut-être avec son confrère Boujmaa ? Car bien qu’extrêmement différents les deux prodiges sont tout sauf adversaires, il n’est d’ailleurs pas rare de voir sur leurs pages Facebook respectives, des félicitations adressées à l’un pour l’autre !

Leur fierté c’est l’océan qui leur a tout donné, Essaouira, Moulay, leurs racines : Ismail nous racontait son émotion sur le podium du Championnat de France : "C'est juste incroyable, pas de mots pour décrire ce que j'ai ressenti là bas, j'étais tellement content, tout le monde me demandait en fait d'où je venais. J'étais si fier de dire que je venais d'Essaouira." Ces champions-là ce sont les nôtres, ceux de l’océan tumultueux que nous aimons tant. Leurs victoires ils nous l’offrent et notre soutien ils y tiennent, nous sommes si fiers d'être leurs voisins, amis, supporters!

Nous remercions Catie Brossard pour son aide précieuse dans l’élaboration de ces portraits ainsi que l’épouse et le frère d’Ismail.

Texte Nathalie Perton
Photo DR 

Nathalie PERTON
Editor Made in Essaouira
12 novembre 2014