"Ce festival est unique"

MUSIQUE
Alice Joundi
Editor Made in Essaouira
22 juin 2011

En initiant le festival Gnaoua et Musiques du monde d'Essaouira en 1997, Neila Tazi, directrice et productrice du festival, aura incontestablement fait beaucoup pour la culture au Maroc, et la ville d'Essaouira. A quelques heures de la 14ème édition des "Gnaoua", elle nous livre une interview exclusive et raconte : le chemin parcouru, l'envers du décor, les enjeux culturels, l'engagement, mais aussi : les temps forts et la magie qui nous attendent ces prochains jours.

Depuis 1997, force de volonté et de passion, le Festival Gnaoua porte devant le public d'Essaouira des concerts d'une rare qualité, réunissant des artistes du monde entier. Ce n'est pas toujours simple de réunir des partenaires pour soutenir un événement culturel aussi connu soit-il. Est-ce qu'avec le temps les choses ont changé ?

Le parcours a été long et difficile, mais comme on dit "le temps arrange bien le choses". Il est certain qu'au fil des éditions nous avons réussi progressivement à surmonter nos difficultés et à convaincre plus de sponsors et partenaires de la pertinence, de la qualité et de l'impact du projet. Mais comme nous sommes soucieux de faire mieux d'une année à l'autre, le travail est toujours aussi intense et exigeant.

Lors de sa précédente édition vous fêtiez les 13 ans du festival et évoquiez un tournant, un nouvel élan. Cette année le Festival Gnaoua célèbre un retour aux racines africaines. Est-ce là pour vous un message, une philosophie qui accompagne l'événement et sa terre d'accueil ?

Le festival Gnaoua et Musiques du Monde a toujours inscrit l'Afrique dans sa programmation, parce qu'elle est le berceau de toutes les musiques, parce que les Gnaoua sont originaires d'Afrique et que le Maroc appartient au continent Africain.

En 2009 est née l'association Yerma Gnaoua pour la sauvegarde et la valorisation du patrimoine immatériel de la confrérie des Gnaoua, pouvez-vous nous en dire plus ?

Yerma Gnaoua a été crée il y a deux ans avec pour objectif d'aller encore plus loin dans le travail de sauvegarde et de promotion du patrimoine gnaoui. Cette association a été crée avec les Gnaoua pour aider l'ensemble des maâlmines du Maroc à avoir encore plus confiance en eux, à préserver leur art et le transmettre. Sur le plan social nous travaillons avec le Ministère de la Culture pour que que chaque maâlem dispose d'une carte professionnelle d'artiste; à partir de là nous les inscrivons à la mutuelle maladie des artistes car jusqu'à présent ils n'avaient pas de couverture sociale. Nous travaillons également avec le musicologue Ahmed Aydoun à la retranscription des textes et de la musique des Gnaoua des différentes régions du Maroc pour que cet héritage soit préservé. Nous avons également sollicité le Ministère de la Culture pour engager ensemble la démarche de demande d'inscription du patrimoine des Gnaoua auprès de l'Unesco en qualité de patrimoine oral et immatériel de l'humanité. Enfin, nous faisons au mieux pour promouvoir les Gnaoua au Maroc et à l'international pour qu'ils puissent établir des contacts et se produire dans divers événements.

Sur le plan musical et dans sa forme, quelles sont les nouveautés de cette 14ème édition ?

La nouveauté est incontestablement le Bastion de Bab Marrakech. Il s'agit d'un bastion datant du 19ème siècle que nous avons eu l'idée de restaurer Ce projet est le fruit d'un formidable travail a collaboration entre le festival, la municipalité d'Essaouira, les autorités, le Ministère de la Culture et son délégué à Essaouira M. Abderrahim Bertai. Ce lieu magique, patrimoine architectural de la ville abritera des concerts exceptionnels pour un public de connaisseurs. La magie du festival Gnaoua et Musiques du Monde c'est aussi cela, la beauté des sites et la valorisation du patrimoine. Ce site sera en partie payant et cela répondra à une demande qui nous a été adressée par de nombreux festivaliers depuis quelques années.

Retour sur la programmation 2011, quels seront les temps fort et vos attentes ?

ll y aura beaucoup de temps forts bien sur ! Pour en citer quelques uns, la parade d'ouverture est un moment formidable qui embarque toute la ville dans un mouvement de fête, j'invite tous ceux qui aiment ce festival à venir plus tôt et participer à ce moment intense. Le concert d'ouverture sera une fusion très rythmée entre le mâalem Kbiber de Marrakech et le malien Baba Sissoko et son incroyable troupe de percussionistes. Le jazz sera à l'honneur et en fusion avec Tigran Hamasyan, pianiste arménien de très grand talent qui est en passe de devenir un des plus grands noms du jazz aujourd'hui. Les musiques du Monde avec Trilok Gurtu percussionnistes indien à la renommée mondiale, une fusion entre Hamid Kasri et l'afghan Humayun Khan, la rencontre de deux voix d'or. Les racines avec la rencontre entre le Maâlem Hassan Boussou et le maître vaudou haitien Erol Josue. Enfin deux têtes d'affiches, K'Naan et Salif Keita.

Le Maroc héberge de plus en plus de festivals, et vous êtes sans doute le plus ancien. Avez-vous le sentiment d'être le plus reconnu ? L'incontournable ?

Avant le festival Gnaoua il y avait les Musiques Sacrées de Fès et avant les Musiques Sacrées de Fès il y avait le Festival d'Asilah. Il est vrai que nous sommes le premier festival populaire à avoir initié la gratuité mais peu importe. Ce qui compte c'est de faire un travail de qualité, d'avoir des idées originales, de valoriser notre patrimoine et nos talents et enfin d'avoir un impact intelligent et constructif qui prenne en compte l'intérêt général. Pour répondre clairement à votre question nous savons que le festival rencontre un extraordinaire succès populaire au Maroc et ailleurs, nous avançons vers un meilleur cadre et climat de travail mais nous restons persuadés que ce projet mérite plus d'aide et d'attention du gouvernement, car ce projet est unique.

Travaillez-vous en coordination avec les autres grands festivals musicaux du pays, comme Mawazine, Festival de Casa, etc. ?

Ou nous avons des échanges d'idées, de contacts et de projets avec certains festivals au Maroc. Nous pensons même que les principaux festivals devraient travailler de façon plus importante à l'avenir.

Comment s'effectue la programmation du festival ? Vous parcourez le monde toute l'année pour "booker" des artistes ?
Absolument pas, nous n'avons pas du tout les moyens pour cela. Nous avons des directeurs artistiques qui sont des musiciens de très grands talents et qui jouissent d'une grande expérience, qui se produisent eux même en concert partout dans le monde et qui ont des contacts avec les meilleurs musiciens.
Seuls des musiciens peuvent s'engager dans la programmation de fusions aussi risquées ; le travail de programmation du Festival Gnaoua est très compliqué, il est propre à ce festival et c'est en cela aussi qu'il est unique.

 

Neila Tazi est directrice et productrice du Festival Gnaoua et Musiques du monde. Elle dirige également l'agence "A3 Communication" à Casablanca, spécialisée dans le conseil en communication évènementielle et relations presse.

Interview Alice Joundi et Fred Haffner
Photo A3 Communication

 

 

Alice Joundi
Editor Made in Essaouira
22 juin 2011