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Bariolées, blanches, bleues ou vertes : les couleurs des Gnaoua

Du sens de la couleur dans le rituel
Nathalie PERTON
Editor Made in Essaouira
28 décembre 2014

Alors que les dates de la prochaine édition du festival Gnaoua et Musiques du Monde d'Essaouira sont déjà connues, aux amoureux de la musique des Gnaoua et de cet événement nous souhaitions apporter quelques pistes vous aidant à comprendre davantage la magie de cette tradition. A travers le code des couleurs de ce rituel partez à la rencontre des "mlouks" et de leurs significations...

Nous avions déjà commencé l'initiation aux codes de la tagnaouite avec notre "Petit précis de la musique Gnaoua"; voici en complément un décryptage d'un des nombreux éléments constituant le rituel traditionnel des musiciens thérapeutes Gnaoua : la couleur.

Du code vestimentaire des Gnaoua

Vous l’avez tous constaté sur scène, au-delà de leur rythme et de leur aptitude à emporter et le public et les stars internationales au travers les mélopées et la culture gnaouie ; les maâlmines sont aussi, chacun à leur façon, de véritables stars, avec leurs costumes, leurs chorégraphies. La troupe des Gnaoua qui est en performance est constituée de musiciens aux tenues dont les couleurs sont homogènes : ils sont par exemple tous en blanc, en bleu clair, en vert, parfois avec des costumes bariolés de couleurs magnifiques comme l’an passé le maâlem Sidi Oughassal... Pendant le festival il s’agit d’une représentation mais qu’en est-il vraiment de ces "costumes" tout en couleur ?  

L’originelle thérapeutique Gnaouie, les codes sacrés

Ce qu’il faut toujours avoir à l’esprit lorsque l’on évoque les Gnaoua, c’est la distinction entre les représentations sur scène et le culte véritable dont elles sont issues. Pour rappel, le culte Gnaoui est un culte initiatique et thérapeutique de même que les Orishas du Nigéria et du Bénin dont découle le Vaudou ou le candomblé Haïtien ou Brésilien, comme ailleurs le Zâr d’Ethiopie. A l’origine, les lilas (nuits de rituel avec musiques et danses et transes) étaient mises en œuvre pour  soigner une personne souffrante, la réparer, lui permettre d’avoir des enfants. Ce que font les adeptes, lors du culte, (par un savoir extrêmement codifié qu’ils ont reçu oralement de génération en génération) ; c’est de remettre de l’ordre au chaos, de l’ordre dans le désordre. Lors de la derdeba (le culte), à un moment donné, les adeptes, pour faire "revenir" cet ordre ; en appellent aux esprits liés à la maladie ou au désordre. Ces esprits nommés : mlouks ou djinns ; dans les mythes de création du monde Gnaoui (la cosmogonie), font partie intégrante du monde réel. A chaque esprit revient une couleur, une danse, un chant ou un répertoire, des parfums spécifiques. Pour le néophyte, des détails ici ou là ; pour l’initié des codes et du sacré. Si l’on ne les invoque pas avec ces attributs, le rituel sera caduc et la personne ne guérira pas. Dans le cas d’une derdeba qui sera bien menée, la maladie, mentale ou physique, sera soignée. 

Les couleurs résurgences du culte sur la scène du festival

Si chacune des dimensions inhérentes à l’esprit concerné est importante ; les couleurs ont cette force qu’elles ont transcendé l’espace intime, sacré et inaccessible (pour les non-initiés) de la lila pour arriver sur la scène profane du festival. Elles sont en cela témoignage de tout ce que cette musique recèle de sacré, de magique, au-delà des rythmes que nous adorons. En effet ; dans le très beau reportage anthropologique concernant les recherches de Viviana Pâques sur le rituel Gnaoua, son informateur Layâchi dit : "Faire la derdeba c’est apprendre comment l’âme va de la vie à la mort pour revenir à la vie (la résurrection) en passant par les sept couleurs de l’univers." Il existe plusieurs thèses, différentes sur ces couleurs mais nous avons essayé de vous rendre compte de la thèse majoritaire (en sachant qu’il existe aussi des esprits féminins annexes auxquels on attribue d’autres couleurs telles que le mauve).

Les sept couleurs de l’univers 

Le blanc qui fait référence aux esprits Chorfa, que l’on dit lié à Dieu, au prophète Mohammed. Parfois la couleur verte le remplace.
L'ensemble des couleurs réunies par un motif "bariolée" ou arc-en-ciel fait référence à la fusion des souffles vitaux.
Le bleu clair est attribué aux esprits "moussaouiyn" (Moussa : nom arabe du prophète Moïse); liés à la mer, au ciel.
Le bleu foncé pour les esprits célestiels.
Le noir pour les esprits de la forêt ténébreuse, ou le fœtus dans les entrailles de la mère.
Le rouge pour les esprits liés au sang, à la mise au monde des enfants (l’accouchement), la circoncision.
Le jaune est attribué à la figure féminine Lala Mira. Avant la lila, le "malade" sera donc chargé d’apporter avec lui des étoffes de la couleur du mlouk dont on suppose qu’il est en cause. Vous observerez, lors de la prochaine édition les tenues des maâlmines et pourrez en conclure qu’il s’agit de tel ou tel esprit dont ils se revendiquent ou qu’ils souhaitent mettre à l’honneur.

Quelques lectures à vous suggérer 

"La religion des esclaves, recherche sur la confrérie marocaine des Gnawas" par Viviana Pâques, "Les Gnaouas du Maroc, itinéraires initiatiques, transe et possession" de Abdelhafid Chlyeh... Il en existe bien d'autres dont l'Anthologie musicale des Gnaoua* récemment éditée, elle-même répertorie les chants en fonction de ces couleurs !

Ainsi vous commencez à ne plus être seulement spectateurs de ce festival mais pénétrez les coulisses de la magie des Gnaoua ! Rendez-vous à Essaouira du 14 au 17 mai 2015 pour une prochaine édition.

* En consultation à la Médiathèque de l'Institut Français d'Essaouira.

Texte Nathalie Perton
Photo Alice Joundi 

 

Nathalie PERTON
Editor Made in Essaouira
28 décembre 2014