Aux origines de la "tagnaouite"

Nathalie chez les Gnaoua
Alice Joundi
Editor Made in Essaouira
16 juin 2014

Un concert de clôture dense et riche de partage, un arbre à connaissances exponentielles et un des maâlem les plus populaires en face du célèbre Malien au N’goni pour terminer ce festival là où ont commencé les racines de cette musique : en Afrique. Des pistes de perspectives pour ce continent apportées par le forum et pour la 18e édition du festival en guise de bilan.

Aux derniers accords du Maâlem Kasri et de Bassékou Kouyaté ; Nathalie se retourne et constate que la foule dépasse largement le périmètre de la place Moulay Hassan pour se déployer jusqu’au port et les rues adjacentes. Le concert de clôture fut grandiose et une pointe d’angoisse la prend. C’est terminé, ce sont là les derniers sons gnaoua live avant un bon moment. Alors il faut vous raconter, faire vivre ces moments qui, de toute façon, nous ont ressourcés pour des semaines ! Car oui, encore sous le choc de la veille et à peine remis de nos émotions, nous voilà propulsés dans un concert fabuleux, d’abord celui du maâlem Hamid El Kasri qui restera sur scène pour sa fusion avec Bassekou Kouyaté et Ngoni Ba. Kasri, l’un des maîtres gnaoua les plus populaires au Maroc, celui dont on dit qu’il a un lyrisme exceptionnel, nous révélait en interview avoir adoré ce dernier métissage musical, soulignant que Bassekou avait " l’âme tagnaouite "Le maître nous invitait également à une métaphore sur la musique gnaoua qui constitue sa vie et qui, "telle une goutte d’eau minuscule au départ a formé une rivière et qui, peut être fera naitre un océan. Nous ne pouvons que souscrire à ce souhait et à cette vérité palpable au regard de la fréquentation de ce dernier concert." (propos traduit de l'arabe par M. Hicham Dinar)

Un arbre à Palabres polémique 

L’arbre à palabres, cette année comme les précédentes, se proposait, nous l’avions dit ; de regrouper des artistes, têtes d’affiches, maâlemines, intellectuels et spectateurs afin de discuter autour de la question de la musique gnaouie, croiser les regards et les opinions.  Petit laboratoire du culte et de l’évolution du rituel gnaoui, l’arbre à palabres permet un échange riche et à de nombreux néophytes d’apprendre énormément sur le sujet. Cette année, beaucoup de surprises encore nous y attendaient : des artistes, de nombreux échanges et des polémiques y ont eu lieu. Si Ayo n’a pas pu s’y rendre car elle était souffrante et Marcus Miller trop pressé par d’autres impératifs, nous y avons vu Meta and the Cornerstones, Bassékou Kouyaté – retraçant les origines de la musique Gnaoua au Mali dont il est originaire- mais également Foulane, Sefarat al Khafaa, Derdba… On y a assisté à l’intervention d’un anthropologue Burkinabé, M. Sissao, venu mettre en parallèle des spécificités de l’ethnie qu’il étudie et le culte gnaoua. Nous avons pu y entendre le témoignage très émouvant du Maâlem Brahim Belkani pour Loy Ehrlich, ex-directeur artistique du festival Gnaoua, ou encore la présentation de la très convoitée (car pas encore en vente) anthologie gnaoua par M. Aydoun. Composée de neuf CD et d’un livre, l’anthologie est le fruit de quatre années de travail auprès de maâlemines de Casablnca, Fès, Meknès, Tanger, Essaouira. M. Aydoun nous explique sa démarche basée sur le déroulement d’une lila et le moment du culte où interviennent les couleurs plus précisément. Il ajoute que l’anthologie n’est bien entendu pas exhaustive et surtout que les maâlemines qui y participent ne sont pas choisis en fonction d’un éventuel talent supérieur aux autres mais plutôt pour leur disponibilité à jouer la couleur demandée. Et l’arbre à Palabres, comme son nom l’indique accueille souvent aussi des polémiques, la plus fréquente étant liée au travestissement du culte et de la musique gnaoua par les fusions avec des artistes internationaux. À cela nous répondrons que si les amoureux de cette culture se doivent de garantir son patrimoine ; sans le festival, peut être la musique gnaouie serait-elle restée apparentée à une simple goutte d'eau, comme le disait le Maâlem Kasri qui complétait : " Les fusions ont été très bénéfiques à la musique gnaouie ". Nous souhaitons rappeler, comme un hommage à cet événement culturel extraordinaire qu’est le festival depuis dix-sept ans; que le culte gnaoui est un des rares cultes de possession à notre connaissance et au travers le monde entier a avoir réussi à faire venir des artistes de renom international jusqu’à eux et ainsi à promouvoir sa musique et sa culture.

Une dix- huitième édition qui sera féminine ou ne sera pas ?

Si le forum du festival et les différents intervenants se sont attachés à nous remémorer pendant ces deux matinées ce qu’est l'histoire commune entre l’Afrique sub-saharienne et le Maroc, ses liens avec l’Europe et le reste du monde, s’ils ont permis d’échafauder des pistes pour que l’Afrique si riche de ressources jouisse d’une place en adéquation avec son importance démographique et son potentiel de richesse dans le futur ; ce que nous retiendrons c’est l'ntervention galvanisante d’Aminata Traoré. La militante politique et écrivaine malienne n’a en effet pas hésité à bousculer l’auditoire. Elle nous met en garde également, car si le rôle de la femme est au cœur de cette Afrique à réinventer, au mêm titre que sa jeunesse, (véritable force créative du continent), il ne doit pas être instrumentalisé ou être l’arbre qui cache la forêt et elle scande : " On ne me libère pas en tant que femme si on ne libère pas en premier mon peuple ! " Et ce féminisme qui se moque du politiquement correcte, cette injonction de soulever l’injustice faite aux femmes sans que cela ne représente qu’une posture intellectuelle, résonne pour Nathalie, résidant sur le sol africain depuis longtemps, se sentant femme de France et aussi d’Afrique, et pour toutes les femmes marocaines et Africaines de l’assemblée. Alors qu’elle sort de ce colloque, reviennent à son esprit les échanges en prémices à ce sujet autour de l’Arbre à palabres la veille et la question de la place de la femme dans la musique gnaouie. Bien sûr, on le sait, le rôle fondamental de la prêtresse médium, la moqâdema du culte gnaoui est certain, néanmoins il est vrai que sur scène et chez les musiciens de guembri, la femme reste peu représentée. A cela le Maâlem Said Oughassal rétorquait que la nouvelle génération de femme arrivait, qu’à Casablanca, un groupe de femmes gnaouies s’était créé et que la fille de Mahmoud Guinéa promettait elle aussi de faire partie d’une relève féminine. Est-il trop tôt pour faire le rêve d’une dix-huitième édition toujours aussi authentique, africaine mais plus féminine ?!

Texte Nathalie Perton
Photo Alice Joundi

Alice Joundi
Editor Made in Essaouira
16 juin 2014