Andalousies Atlantiques : Essaouira brodée au fil d’or
Impossible de ne pas redire l’émotion qui caractérise ce festival unique en son genre, le seul au monde capable de réunir, tels des frères et soeurs de coeur (et de choeurs), juifs, musulmans et chrétiens sur scène, unis par la voix, le ton et l'inspiration, pour célébrer les Andalousies Atlantiques. Cette année, plus que toute autre, le festival rendit hommage à sa ville-écrin : Essaouira.
La musique judéo-arabo-andalouse recèle de répertoires, de genres et d’écoles issues des quatre coins de la Méditerranée. Or, c’est à Essaouira que le Maroc, en des temps anciens, détenait ses meilleurs artistes du genre, à l’image des " Musiciens Juifs de Mogador ", célèbre toile d'Eugène Delacroix, qui eut le privilège de les écouter et de témoigner de leur art à travers ses coups de pinceau en 1832. En son palais de Meknès, le Sultan voulait alors présenter à une délégation française ce que son royaume avait de plus beau. Et c’est d’Essaouira, de Mogador, que les musiciens vinrent présenter leurs talents… Cette histoire vraie nous fut contée parmi d'autres pendant ces trois jours de festival ; elle renaquit même en musique devant un public enchanté, adressant à tous le témoignage d’un patrimoine artistique bel et bien vivant.
Souiris, les artistes de coeur ou d’héritage. Dinar Hicham Souiri, l’enfant du pays, éblouissant de simplicité et de talent aux côtés des plus grands maîtres du genre. Abderrahim Souiri, celui-là même qui nous offrit un duo aussi symbolique qu’infaillible avec le grand Haïm Louk, main dans la main, le juif le musulman, ces deux chanteurs doyens du genre ont fait du concert une fête populaire à la hauteur de leurs immenses talents.
Souirie, la maison qui accueillit tant de joies et de liesses les après-midi et les nuits sous sa coupole étoilée.
Souiri, le public. Mélangé, joyeux, populaire, initié, novice ou curieux, dont certains comme nous cherchaient en soi une bonne raison de revendiquer à son tour une part de cette si belle histoire qu’il nous est donnée de vivre chaque année à Essaouira. Qui que l’on soit, dans ces instants de mémoire et de partage, on aimerait bien à son tour être le juif, le marocain, le musulman, l’andalou, le berbère ou le chanteur de Matrouz ; être de ceux qui ont la chance d’avoir cette vibration en héritage, et les larmes légitimes qu'un chant traditionnel ferait jaillir.
Souirie, la grande Histoire d'amitié entre les juifs et les musulmans. Elle fut évoquée par la présentation à Essaouira de l’ouvrage exceptionnel intitulé Histoire des Relations entre Juifs et Musulmans (1). 1100 pages d'articles rendus accessibles sous la plume de grands historiens analystes et chercheurs, ponctuèrent cet autre témoignage vivant qu’est le festival des Andalousies Atlantiques depuis 11 ans.
Finalement, à l'issue de ces trois jours, il ne restait rien d’étranger à cette liesse, pas même ceux qui n’ont de racines que celles qu’ils s’inventent. Une nouvelle fois, comme le disait la directrice artistique Françoise Atlan pour conclure cette édition, "Essaouira nous aura fait chavirer", contre vents et marées, fidèle à son art de nous inviter et de nous retenir. Parce que les mots seront galvaudés et qu’il n’y a rien à redire, de cette édition si joliment brodée il nous reste qu’une envie : celle d’être souiri à son tour, et d’y revenir…
Texte et photos Alice Joundi.