Abdul, chamelier à Essaouira

Portrait d'ici
Nathalie PERTON
Editor Made in Essaouira
20 février 2015

Au hasard de nos promenades, touristes ou résidents, nous les avons croisés, ces "personnages". Nous avons marqué une pause devant un regard, une posture, un métier qui, sans artifice, sans être spectaculaire, contient de la magie de notre ville ; de ce temps suspendu... Parce que nous sommes convaincus que l’âme de notre cité est en partie issue de ces figures qui lui confèrent autant de charme que de mystère ; Made in Essaouira vous offre le portrait d'un de ces anonymes. Abdul est chamelier, sur la plage d'Essaouira.

Ces acteurs du tourisme qu’on ne note pas sur Trip Advisor

C’est l’image carte postale, celle qui fait rêver : devant les dunes des cavaliers ou des hommes sur leurs dromadaires portant foulards bleus au coucher du soleil. Pour le touriste ils représentent une image folklorique, qu’ils perçoivent comme un peu surréaliste, anachronique, probablement ostentatoire. Mais il faut vivre à Essaouira pour connaitre ce spectacle renouvelé, chaque jour la transhumance des géants herbivores au matin devant la plage, montés par leurs cavaliers, pour savoir qu’Abdul et les autres oeuvrent, du petit matin au coucher de soleil flamboyant, à l’activité touristique de leur ville. Les acteurs de ce tourisme-là ne sont pas sur trip advisor ; leur réputation, l’excellence ou pas de leur prestation se connait de bouche à oreille. Peut être devons-nous nous en souvenir quand nous négocierons notre prochaine promenade… L’un d’entre eux, Abdul, s’est révélé pour nous, pour vous.

L’enfance

Abdul, la quarantaine, arrive au café, les pieds dans le sable. Il a le teint de ceux qui passent la journée dehors, foncé ; capuccino comme son dromadaire qui le précède. Sachez en effet que le dromadaire fait partie de la famille des chameaux, ainsi ce n’est pas une réelle faute que de désigner un dromadaire par le terme de "chameau". A Essaouira les chameliers montent donc des dromadaires, peu importe… Abdul a choisi la casquette pour se parer du soleil et probablement du vent. Il nous raconte dans un français assez bon (il faut pouvoir communiquer avec le touriste) son enfance à Douar Lâarab, le quotidien, déjà avec les bêtes puisque son père s’occupait d’un troupeau de chèvres. C’est le père d’Abdul qui a payé pour avoir les cinq bêtes au souk de Haddra… Abdul a commencé à 25 ans les promenades sur la plage d’Essaouira. Il fait partie des figures indissociables du paysage, sauf que c’est un homme qui fait vivre une famille ; sauf que le quotidien d’un chamelier est aux antipodes de la vie de ceux qui viennent pour la promenade, quelques minutes. 

L’attachement à ses bêtes ; l’implication quotidienne

Quand Abdul parle de Mimoune, Chocolat, Capuccino, Caramel et Max, ses cinq dromadaires, on sent bien qu’il y a un fort attachement, au-delà du gagne-pain que cela représente. Quand on lui demande comment il les reconnait, il rit presque et s’insurge "Mais parce que ce sont mes bêtes ! Je les ai tous eus bébés !" Il nous parle de leur dressage qu’Abdul a exécuté avec un ami qui avait de l’expérience et qui dure un mois environ, pendant lequel les grands mammifères apprennent à marcher les uns derrière les autres, s’asseoir, se relever mais avant tout se familiarisent avec la corde. Comme pour le chien, ou tout autre animal domestiqué, elle représentera le lien matérialisé et ensuite invisible entre la bête et son maître. Quand on lui dit que les dromadaires sont réputés pour avoir sale caractère, Abdul les défend comme un père défendrait un enfant capricieux : "non, non ! Ils sont très gentils, il suffit qu’ils aient un bon maître et qu’ils soient bien dressés !" Nourrir cinq colosses comme ceux-là n’est pas donné car, outre ce qu’ils broutent la nuit en forêt (mimosa, eucalyptus), Abdul doit leur donner du blé, des figues de barbarie et cela lui coute : "pour bien les nourrir il faut environ 100 dirhams par jour !" Il a effectivement intérêt à les faire tourner en promenade ! D’ailleurs Abdul, lorsqu’on lui parle des mauvais traitements que l’on suppose chez certains chameliers les condamne vivement "Ceux- là ne sont pas de bons chameliers, c’est l’alcool ou d’autres choses qui leur font perdre la tête ou battre leurs bêtes !"

Si les dromadaires sont entravés c’est pour ne pas qu’ils s’enfuient, oui, mais aussi pour garder la nuit. Car, par manque de moyen; les chameliers n’ont pas toujours d’écurie ou de boxe : la nuit les dromadaires sont donc emmenés à la forêt qui jouxte le village de Diabat, ou bien par la route de Marrakech vers ce superbe point de vue panoramique sur la ville. Ils y sont laissés le soir, où ils peuvent manger et se reposer, et sont récupérés au petit matin.

Les codes de la plage

Si les alentours d'Essaouira sont bien plus sauvages que ceux d’autres villes, et que sa plage encore relativement vierge ne subit pas les mêmes contraintes qu’en d’autres lieux, on sait que plusieurs acteurs se "partagent" la plage : les moniteurs de sports nautiques, les cavaliers à cheval, les détenteurs de quads et les chameliers… Si on suppose bien qu’il règne une hiérarchie implicite, et cela même à l’intérieur du groupe des chameliers, Abdul nous assure que non et que : "chacun vit en bonne entente". On suppose que des territoires et des horaires sont à respecter implicitement et qui a bien observé la plage à bien remarquer que chacun a sa place. Il reconnait d’ailleurs que c’est un peu chacun pour soi car lorsqu’on évoque les maladies qui peuvent atteindre les dromadaires ; Abdul nous répond qu’ils sont bien aidés par le centre vétérinaire de la Province, même si l'argent vient à manquer parfois pour payer les piqûres. 

Quand on lui demande ses projets pour l’avenir, Abdul dit qu’il aimerait avoir plus de dromadaires et faire plus de promenades mais qu’il espère  ne pas être encore sur la plage à 80 ans ! Quand vous montrez un chameau qui s’appelle Chocolat ou Capuccino les cheveux au vent en regardant la mer et vous offrant ce grand moment de félicité, souvenez-vous de la petite histoire et dîtes-vous que pour que les chameliers s’occupent bien de leurs bêtes il faut tout de même un peu payer !

Texte et photo Nathalie Perton

 

Nathalie PERTON
Editor Made in Essaouira
20 février 2015