A Essaouira ; le Musée Mohamed Ben Abdellah ou les symboles de Boujemaa Lakhdar
Si longtemps on a pu regretter la fermeture du Musée d’Essaouira c’est qu’il fallait attendre sa rénovation et les divers travaux d’amélioration du circuit muséal maintenant réalisés. Il accueille du 17 au 31 juillet une exposition hommage à son fondateur, Boujemaa Lakhdar, artiste, chercheur, intellectuel de génie qui n’a eu de cesse de partir en quête des signes et symboles cachés de la culture traditionnelle. Hommage.
Créateur alchimiste, Boujemaa Lakhdar fut le seul représentant du Maghreb à l’exposition parisienne "Les magiciens de la terre" du Centre national d'Art et de Culture Georges Pompidou. C'est à juste titre qu'aujourd’hui les Souiris et le musée rendent hommage à un personnage exceptionnel.
De la demeure de marchands au patrimoine immatériel
A pérégriner le long de la rue Laâlouj, en direction des remparts, avant de parvenir à l’Institut français, sur la gauche, le musée Mohamed Ben Abdellah d’Essaouira vous invite à une promenade culturelle indispensable. Il n’est pas si étonnant que la bâtisse du XIXème siècle ait été auparavant demeure de marchands ; pourvue de ses grandes salles servant auparavant d’entrepôts pour les marchandises. Devenue mairie puis maison des jeunes, c’est en 1980 que l’édifice trouve vocation à se faire l’étendard du patrimoine culturel matériel et immatériel, lourde et ambitieuse tâche s’il en est. Aujourd’hui, de cette nouvelle architecture intérieure effectuée lors de la fermeture pour rénovation et de ce double accès par l’escalier central, le musée dégage un peu plus de sa personnalité, de son potentiel, de sa force et de ce dont il est capable : le musée se révèle.
La récente rénovation, l’amélioration du circuit muséal
En dehors de cet escalier gigantesque permettant une mobilité fluide et des dimensions d’accueil optimisées ; le circuit muséal a été agrémenté par de multiples fonctions ; la déléguée provinciale de la Culture à Essaouira, Zhor Amhaouch, nous indique que "la bâtisse historique abritant le musée a connu plusieurs travaux de rénovation, alors que le circuit muséal a été revu, de manière à répondre aux normes en vigueur en matière d'exposition, d'entretien et de mise en valeur des objets". Ainsi ont été installés : un éclairage adapté à la fragilité des objets exposés, un dispositif de sonorisation diffusant les mélodies du répertoire traditionnel, et développée : une volonté de rendre l’espace culturel attractif par l’installation d’accueil conçue par l’artiste Souiri Mohamed Mountassir… Avant tout cela déjà, le musée offrait une collection permanente indispensable, de belles ambitions d’expositions temporaires et surtout, l’empreinte indélébile d’un fondateur érudit et brillant. Une exposition le met à l’honneur, deuxième quinzaine de juillet car il était temps enfin que les Souiris clament :"Le musée reconnait son fondateur"!
La collection permanente enrichie et le potentiel des expositions temporaires
Une collection permanente au rez-de-chaussée mêle patrimoine naturel, conservation d’objets et documents de la période préhistorique à la période médiévale, naissance de la médina et du port, architecture et urbanisme de la ville, monnaie… La collection s'est également enrichie d'objets illustrant l'époque médiévale : la dynastie Saadienne et l'industrie sucrière inhérente dans la région d’Essaouira et de nouveaux documents photographiques entre autres illustrant l'architecture, les traditions et costumes de la population et des outils utilisés dans le travail artisanal du thuya. Elle permet un large éventail de savoirs indispensables, de connaissance de la cité et de son histoire. Par ailleurs ; le musée a montré ses ambitions et son potentiel lorsqu’en 2013 il accueillait l’exposition créant une passerelle entre le Maroc et la Chine via la feuille de théier séchée, qui avait énormément séduit. Toutefois pour saisir ce que le musée a dans ses tripes, ce dont il est capable, il faut revenir à son fondateur, Boujemaa Lakhdar, ses recherches et ce qu’il a distillé, semé dans la création de ce musée.
Dans les entrailles du musée, la quête des signes cachés
Boujemaa Lakhdar fut un érudit, un éclairé, un brillant, doué, artiste-chercheur, de cette poignée si rare d’êtres hors du commun en recherche de sens, créateurs de passerelles, créatifs illuminés. Autodidacte de génie, passant de la marqueterie à la philosophie avec autant d’aisance, son talent en peinture et en sculpture a été reconnu à l’international. Ses recherches dans le domaine des signes et de la magie populaire lui ont permis de collaborer avec de grands intellectuels. Puisant son inspiration aux sources d’une codification secrète, d’un graphisme symbolique complexe, interrogeant la magie populaire, questionnant les liens avec les autres codifications et magies populaires, les signes cachés ; son insolite astrolabe musical entre autres objets ésotériques en est l’une des plus belles manifestations. Devenu alchimiste par sa maîtrise des signes et des symboles, par sa faculté de les transfigurer dans ses œuvres, il fut le seul représentant du Maghreb en 1989 à Beaubourg lors de l’exposition universelle "Les magiciens de la terre". A connaitre son fondateur, il est certain qu’il se cache, bien plus qu’on ne pourrait le penser dans les entrailles de notre musée d’Essaouira.
Texte Nathalie Perton
Photo Alice Joundi