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Touria Hadraoui : « Casa n’est pas qu’un immense chantier bétonné »

Interview
Zara Kadiri
Editor Made in Casablanca
24 février 2011

Tour à tour journaliste, écrivain, chanteuse de malhoun, Touria Hadraoui a écumé Casablanca de fond en comble, durant ses promenades comme ses reportages. Elle nous livre sa vision d’une ville bétonnée qui sait encore garder ses parts de mystère.

Made in Casablanca : Lorsque vous étiez petite, vous étiez passionnée par Oum Kalsoum (grande star de la chanson égyptienne, ndlr). Aujourd’hui, vous chantez le malhoun, un chant traditionnellement réservé aux hommes. Comment êtes-vous passé de l’un à l’autre ?
Touria Hadraoui 
: C’est une très longue histoire. Oum Kalsoum m’a révélé ma voix, ou a permis à celle-ci de s’affirmer. J’ai découvert ma voix en découvrant Oum Kalsoum, ou l’inverse, je ne me rappelle pas trop. C’est loin, tout ça… Quand au malhoun, je suis venue à « lui », c’est un long voyage ou un long chemin fait de joie et de douleur, de choix aussi. Mais il m’a fallu longtemps pour le rencontrer. Entre temps, je suis passé par l’UNEM (union des étudiants marocains), des associations féminines ou culturelles, le journalisme, des lectures, des rencontres, des groupes de musique… Il fallait quitter Oum Kalsoum, se séparer d’elle, se retrouver pour faire son propre choix. Et je veux aussi dire que le malhoun n’est pas « un chant d’homme », c’est un chant tout court. C’est vrai qu’il était chanté pendant longtemps par des hommes, mais c’est un chant pour tous.

Made in Casablanca : Vous avez grandi dans le quartier Belvédère. Quel souvenir gardez-vous de ce quartier de votre enfance ?
Touria Hadraoui : Les plus grands souvenir, c’est dans le  jardin du Belvédère où j’ai beaucoup joué étant petite et où à un âge précoce, j’ai rencontré des amis qui étaient à l’époque des élèves au lycée alors que j’étais encore à mes premières années de collège. Habitant au Belvédère qui n’est pas loin du centre ville, on avait l’avantage et le privilège d’être à côté des cinémas, du théâtre, du conservatoire. Avec ces  amis on allait voire des films ou des pièces du théâtre amateur. Dans le temps, ça discutait beaucoup, et on vivait dans un monde ouvert où tous les rêves étaient permis. La fièvre de la  consommation n’avait pas encore atteint la ville.

Made in Casablanca : Vous avez été enseignante de philosophie, pendant deux ans. Comment pourriez-vous définir la philosophie de Casablanca ?
Touria Hadraoui : « La philosophie de la ville » est en devenir, ce n’est comme pas comme dans les villes traditionnelles, où tout est arrêté. Casa est ouverte sur toutes les possibilités, et c’est ce qui fait sa force et aussi sa faiblesse, si les acteurs économiques, politiques ou culturels ne saisissent  pas l’opportunité que Casa offre en tant que chantier divers. C’est vrai qu’on a tendance, ces derniers temps, à ne voir en Casablanca qu’un chantier de construction immobilier, sans accompagner cela par une  politique culturelle ou une conception esthétique pour la ville. Et finalement, c’est ce qui est en train de porter atteinte à « la philosophie de la ville »  telle qu’on la voyait avant ; c'est-à-dire une ville ouverte, aérée, carrefour des cultures.

Made in Casablanca : Vous avez aussi fondé une revue, Kalima, (La Parole). Vous avez traité de nombreux sujets, les mères célibataires, et la prostitution. Vous avez d’ailleurs suivi des prostituées casablancaises pendant un an. La société casablancaise a-t-elle beaucoup évolué, depuis ? Est-ce une ville en avance par rapport aux autres ?
Touria Hadraoui : C’est une question très difficile, parce qu’à Casa, il y a toutes les contradictions… On peut trouver une chose et son contraire sur le même lieu. Et ça ne dépend même pas de classe sociale ou de niveau scolaire… Mais, on peut quand même dire que c’est une ville en avance sur les autres, il n’y a pas de doute la dessus.

Made in Casablanca : Votre premier reportage était sur un marabout casablancais. Casablanca n’a pourtant pas l’air d’être une ville mystique…
Touria Hadraoui : Le marabout casablancais exprime les contradictions de cette ville du Twin Center avec tout ce que cela sous-entend. Les visiteurs de Sidi Abderahman (quartier populaire de Casablanca, où se trouvent la plupart des marabouts, ndlr) n’ont rien de mystique, non plus. Ce sont des gens à qui la vie moderne n’a pas  donné de solutions à leurs problèmes psychologiques ou sociaux, alors ils se tournent vers des remèdes d’un temps révolu. Cela dit, on peut être mystique à Casa. Une mystique moderne, ça existe, si on prend le mysticisme, comme étant le  rapport qu’on peut développer entre soi  et le monde où nous vivions.

Made in Casablanca : Avouez-nous vos petits secrets… Où peut-on espérer vous croiser, si on sort à Casablanca ? Un restaurant, un café préféré ?
Touria Hadraoui : Excusez moi,  mais je ne vous dis pas mes coins préférés, je les garde jalousement, parce que j’aime me promener seule et incognito, je ne suis pas trop café et restaurant, je préfère la nature. Et ça existe à Casa, même si elle est réputée « ville du béton » ! Il faut juste la chercher.

Made in Casablanca : Si vous deviez changer une chose, dans cette ville, que feriez-vous ?
Touria Hadraoui : J’aménagerais le centre ville. Ce serait sympa, une zone piétonne, avec des cafés avec des grandes terrasses, pour alléger la fréquentation de la Corniche qui est devenue insupportable le soir en été. Et je sauve les cinémas qu’on est en train de démolir.

Interview Mathias Chaillot
Photo DR

Zara Kadiri
Editor Made in Casablanca
24 février 2011