Tahir Shah, baroudeur d’honneur
Ecrivain et journaliste casablancais, Tahir Shah parcourt le monde pour mieux le raconter. Il nous reçoit à Dar Khalifa, sa maison perdue au milieu du bidonville de Derb Ghallef.
Difficile d’écrire sur Tahir Shah. Difficile de le trouver, déjà, entre un déplacement au Brésil, pour son anniversaire, et un autre aux USA, pour le travail. Difficile de le saisir, ensuite, tant il semble vous glisser entre les doigts, tant il pose de questions au lieu d’y répondre, tant il s’intéresse aux autres plus qu’à lui, tant chacune de ses phrases est une définition du paradoxe. Pour aller chez lui, il faut d’abord l’attendre au pied d’une résidence fermée de Casablanca, gardien de sécurité, 4x4 rutilants devant les portes. Oui, Tahir habite dans une villa, mais pas une de celles là. Vient un moment où la route se creuse, où les poules et les vaches remplacent les chiens en laisse, où les gardiens et les femmes de ménage ne sont plus en train de travailler, mais chez eux. Bidonville de Derb Ghallef, à deux pas des zones sécurisées que nous venons de traverser, deux robinets pour tout un quartier, et au milieu, Dar Khalifa, le home sweet home de Tahir. En arrivant, il s’émerveille devant deux chevreaux, lui qui a déjà passé 16 jours dans les prisons pakistanaises. L’homme de toutes les contradictions. « Le vrai Maroc, il est là, à deux mètres d’ici, raconte ensuite Tahir, confortablement installé sur sa terrasse. Il faut être conscient de la chance qu’on a. Et tant qu’il y a du respect, il n’y a pas de problème. »
Pour vivre, Tahir écrit. Des articles, pour la presse internationale, des livres, sur ses voyages, des scénarios, aussi. Sa ville est d’ailleurs au cœur de son dernier script, « The Casablanca Blues ». Ses reportages l’ont emmené en Afghanistan, ou à la recherche des mines du roi Salomon, en Ethiopie. A la Indiana Jones style, mais avec un carnet rouge à la place d’un fouet, et personne pour claironner tin dindin tin, tin tindin, si ce n’est, peut-être, sa femme ou ses deux enfants.
Rapprocher l’Orient et l’Occident
Mais tout cela a aussi pour lui un autre but. Ce qu’il juge être « une mission » : recréer du lien entre l’Orient et l’Occident, réunir deux cultures qui le composent, lui dont le père Afghan l’emmenait, enfant, au Maroc pour qu’il découvre les montagnes, les sociétés tribales, comme un négatif du pays dans lequel il ne pourrait jamais l’emmener ; et sa mère, anglaise, qui lui a donné sa langue… Et l’envie de vivre dans un pays où il ne pleut pas la moitié de l’année. « Je voyais l’Orient avec un œil, l’occident avec l’autre », résume-t-il. Tahir Shah mixe ses cultures, son nom et sa langue, ses contradictions. Il cache ses portes derrière ses bibliothèques, saute à pieds joints comme un enfant en montrant son tapis où l’on peut voir deux tours, des flammes, des gens qui tombent, et une date entrée dans l’histoire. « Je l’ai ramené de Kaboul ! » Un regard d’enfant que tout émerveille, qui veut tout comprendre, tout raconter.
A 44 ans, il enchaîne les projets, les documentaires pour National Geographic Channel, les aventures. Mais attention, ce n’est pas pour cela qu’il se considère comme un explorateur. « C’est un mot idiot, je ne suis pas un explorateur, car nous en sommes tous. » Certains plus que d’autres.
Texte Mathias Chaillot
Photo DR