Reda Allali : "Musicalement, la grande époque de Casa était dans les années 2000"
Avec son groupe phénomène Hoba Hoba Spirit, l’un des symboles de la nouvelle musique marocaine, Reda Allali est un témoin privilégié de la jeunesse d’aujourd’hui. Grosses lunettes, cheich palestinien autour du cou et casquette enfoncée sur la tête, il nous accueille pour nous raconter ce qui fait sa ville et sa musique.
Made in Casablanca : Un chanteur de fusion, quand ça veut entendre de la bonne musique, en soirée, ça sort ou ?
Reda Allali : Ca allume son iPod. Plus sérieusement, ça fait longtemps que j’ai admis une cassure entre le monde de la nuit et celui de la musique. On ne trouve plus de soirées qui prennent des risques, qui diffusent des choses originales, qui laissent une place à la musique marocaine. C’est le syndrome du restaurant japonais : tout le monde a dis que ça ne marcherait jamais, des petites portions, du poisson cru, que des choses que les marocains n’aimeraient jamais. Il y en a eu un, ça a marché, il y en a maintenant partout. Il faudrait que des lieux de la nuit osent faire la même chose avec la musique. Pour l’instant, ils prennent des groupes qui chantent Hotel California. J'ai rien contre, mais un peu de nouveauté ne ferait pas de mal. Et après tout, ça marche.
Made in Casablanca : Est-ce que Casablanca a une véritable offre, si on veut se produire sur scène en tant qu’artiste ?
Reda Allali : Pas vraiment. Le Festival de Casablanca, L’Boulevard, il y a ces deux scènes là, mais on ne peut pas attendre deux dates par an, en espérant qu’ils nous appellent. Les gros concerts gratuits de l’été, c’est trop réduit. Il y a un manque de salles. Avant, il y avait plus de choses, à l’époque de la FOL.
Made in Casablanca : Votre premier concert s’est justement déroulé à la FOL, la Fédération des Œuvres Laïques.
Reda Allali : Il y a 10 ans, la FOL organisait plein de concerts, on se retrouvait toutes les trois semaines. S’il y a vraiment eu « un mouvement », avec beaucoup de guillemets, c’était à ce moment là.
Made in Casablanca : Quels sont vos autres souvenirs de scène dans la ville ? L’Boulevard est un élément important de votre parcours, j’imagine.
Reda Allali : Oui, mais il y a L’Boulevard de 2003, et celui de 2010. A l’époque, Momo (organisateur du festival L’Boulevard, ndlr) m’a dit « je vais faire un festival. On quitte les salles, on prend un stade ». Je lui ai demandé s’il avait une tête d’affiches, il m’a dit « non, vous, et quelques autres. » Je l’ai pris pour un fou, mais il a rempli le stade, car le mot alternatif avait un sens, à l’époque, il y avait un rejet des canaux officiels, Internet balbutiait, il fallait aller là-bas pour voir les groupes. On a rendu visible un phénomène invisible. Les générations d’aujourd’hui ne comprennent pas forcément qu’à l’époque, il a fallu forcer les portes.
Made in Casablanca : Vous avez fait une chanson sur Casablanca, « Bienvenue à Casa » : Pollution, circulation, galères au consulat… Elle a pas l’air d’être rose, la vie ici.
Reda Allali : C’est sarcastique. On critique toujours sa ville, mais on l’aime. Casa a fabriqué la culture populaire marocaine, elle a une énergie immense, et puis il y a un vrai brassage social. A la FOL, à l’époque, il y avait tout le monde, les riches, les pauvres. Aujourd’hui, ça n’existe plus, sauf peut-être au foot. Et encore.
Made in Casablanca : Justement, Rajaoui ou Widadi ?
Reda Allali : Raja, évidemment. Un peu de respect quand même (rires). Dans le groupe, il y a 3 rajaouis, et un égaré. Mais on va au match ensemble. Et de toute façon, la ville vit par ses deux clubs. L’un ne serait pas ce qu’il est s’il n’y avait pas l’autre en face.
Made in Casablanca : Quelle est l’actualité de Hoba Hoba Spirit ?
Reda Allali : Pour l’instant, on fait des concerts à l’étranger, on va aller en Belgique, au Canada. On travaille aussi sur un album, il est en écriture, mais ce n’est pas pour tout de suite. Je préfère ne pas donner de date.
Made in Casablanca : Merci.
Reda Allali : Merci à toi… Mathias. Oh, Mathias ! J’ai connu un mec qui s’appelait Mathias, le chanteur de Dyonisos. On était en concerts à Meknès, on m’avait prévenu qu’il était un peu taré, je lui ai dit « tu sais, je serais toi, je ferais pas de slam. C’est pas dans la culture, la foule va s’écarter. » Il m’a répondu « je le fais à chaque fois ». Il a sauté.
Made in Casablanca : Et... ?
Reda Allali : Il s’est écrasé.
Interview Mathias Chaillot
Photo DR