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Nabil Ayouch : Ca ne sert à rien de faire des films si on ne peut pas les montrer à Casa

Cinéma
Zara Kadiri
Editor Made in Casablanca
10 février 2011

Producteur et réalisateur, entre autres, de Whatever Lola Wants et Ali Zaoua Prince de la rue, Nabil Ayouch travaille maintenant sur une adaptation du livre Les Etoiles de Sidi Moumen. Pour Made in Casablanca, il nous en dit un peu plus sur cette ville qui l’inspire mais où c’est toujours aussi difficile de montrer son travail.

Made in Casablanca : Vous êtes né à Paris, mais votre père travaillait à Casablanca : quel a été votre premier contact avec la ville ?
Nabil Ayouch :
Je venais souvent à Casablanca, en vacances voir mon père, justement. Pendant un premier temps, j’ai détesté cette ville. Je la trouvais trop brouyante, trop polluée, trop grande, et surtout incompréhensible.

Made in Casablanca : Et maintenant ?

Nabil Ayouch : Maintenant, je l’aime, même si je la trouve toujours trop grande, et surtout, je ne la comprends toujours pas. Je n’ai jamais compris le plan d’urbanisme de cette ville.

Made in Casablanca : Plusieurs de vos films se passent à Casa. Vous inspire-t-elle ?
Nabil Ayouch :
Bien sûr. Dans Ali Zaoua Prince de la rue, c’est un des personnages. Tout ici inspire. Elle a un côté sauvage. Il y a des quartiers où 99% de la population ne met pas les pieds, mais qui ont un côté extraordinaire. Pour Ali Zaoua, j’ai parcouru Casablanca de long en large, la nuit. J’y ai vu des choses folles, parfois sauvages, parfois violentes, mais extraordinaires. C’est vraiment avec ce film que j’ai appris à aimer la ville. Ce qui me plait, aussi, c’est l’architecture art-déco. Je ne comprenais pas une telle audace au début, il n’y a pas d’autres villes au monde, avec Buenos Aires peut-être, qui soit aussi folle. Ensuite j’ai compris : les architectes européens ne pouvaient plus faire ce qu’ils voulaient chez eux. Quand ils sont arrivés, il n’y avait pas encore de plan d’urbanisme, et ils se sont vraiment lachés, ils se s ont fait plaisir.

Made in Casablanca : Quels sont les quartiers, les lieux que vous appréciez tout particulièrement ?
Nabil Ayouch :
J’aime bien le quartier des Roches Noires, et le quartier Bourgogne, où je vis et travaille. Car il y a encore, ici, une vraie vie de quartier, un marché, des gens qui se connaissent, et le côté quartier populo, un peu bobo, est très intéressant. Un coin comme le Maarif, par exemple, était vraiment super il y a quelques années, complètement cosmopolite. Aujourd’hui, c’est juste une extension du centre-ville, des bouchons, des klaxons, et plus personne qui se parle.

Made in Casablanca : Vous êtes acteur, mais aussi producteur, et vous travaillez dans différents pays d’Afrique. Pourquoi ce choix ?
Nabil Ayouch :
Il n’y a pas de vrai marché marocain, alors il faut compter sur un marché régional. Quand on travaille sur des projets et qu’on amène des gens qui n’ont à rien à voir, des marocains et des algériens, des palestiniens et des israéliens, à se cotoyer, le métier devient vraiment intéressant.

Made in Casablanca : Vous vous apprêter à tourner une adaptation du livre Les Etoiles de Sidi Moumen, de Mahi Binebine (sur les jeunes des bidonvilles de Sidi Moumen, à Casablanca, ndlr). Comment avez-vous découvert ce livre ?
Nabil Ayouch :
En fait, je travaillais déjà sur le même sujet avant le livre. La même histoire, tout était identique. J’avais commencé un scénario, puis j’ai découvert le manuscrit, je l’ai lu et… J’ai laissé tomber le scénario, et j’ai décidé d’adapter le livre avec l’accord de l’auteur. Ensuite, le scenario est parti au Festival de Cannes, et Europa Corps, la société de Luc Besson, s’y est intéressée, et a décidé de nous aider à le produire. On tournera juste avant, ou juste après l’été.

Made in Casablanca : Dans vos films, comme Ali Zaoua, vous avez fait appel à des enfants de la rue. Ferez-vous à nouveau appel à des acteurs non professionnels pour celui là ?
Nabil Ayouch :
Oui. Des gens de Sidi Moumen ou des alentours.

Made in Casablanca : Et comment faire pour déceler des capacités, auprès de gens qui n’ont aucune expérience du cinéma ?
Nabil Ayouch :
Ce n’est pas évident. Il n’y a pas de recette miracle, je pense. Le plus dur, c’et de se dire qu’il sera bon aussi devant la caméra, car parfois, ils dégagent beaucoup de choses, et au moment de dire action, il n’y a plus rien. Il faut compter sur le feeling, je pense. Mais je préfère toujours ces acteurs là à des acteurs pro bourrés de tics de jeu. C’est beaucoup plus simple de construire que de déconstruire.

Made in Casablanca : Vous revenez du Festival de Tanger, où vous avez présenté votre documentaire, My Land, sur le conflit palestinien. Pourquoi être passé au documentaire ?
Nabil Ayouch :
Je n’envisageais pas du tout de faire une fiction sur ce sujet. C’est possible, bien sûr, mais c’est aussi trop proche de ma réalité. Ma mère est juive, mon père musulman, j’ai grandit avec ce conflit, ma conscience politique s’est éveillée avec. Pendant longtemps, j’ai boycotté Israël, avant de décider d’y mettre les pieds, en 2003, puis le projet a muri. J’ai toujours su que je ferais ce projet un jour, sous une forme ou une autre.

Made in Casablanca : Quand vous sortez sur Casa aujourd’hui, où allez-vous ?
Nabil Ayouch :
J’aime beaucoup l’ancienne medina, où je vais souvent, je la connais assez bien. Je suis très attaché au parc Murdoch aussi, il a beaucoup de charme, j’y ai tourné une partie de Whatever Lola Wants, par exemple. Et, ça va vous étonner, j’aime beaucoup Sidi Moumen (quartier populaire avec un immense bidonville, ndlr). C’est le coin le plus haut de Casablanca, on a vue extraordinaire sur la mer, les bateaux. Et puis il y avait beaucoup de carrière à l’époque, là-bas, et il reste de nombreux cratères. Ca donne un paysage lunaire. Et puis la presque île de Sidi Abderrahmane. Son côté ésotérique, la sorcellerie, des gens qui vendent des talismans un peu partout.

Made in Casablanca : Vous faites des films, encore faut-il pouvoir les voir. Le problème des salles de cinéma, pour la plupart complètement abandonnées, vous touche ?
Nabil Ayouch :
Bien sûr, c’est le lien avec mon public. Chaque cas est différent, certaines sont rénovables, d’autres non, mais il faut une vraie politique publique, de la ville, de l’Etat. Et puis le problème est plus large. Il faut déjà s’attaquer au problème du piratage. Ensuite, il faut une offre. 50 dirhams pour un billet au Mégarama, c’est très bien, mais c’est juste inaccessible pour 90% de la population. Si on offrait des salles, accessibles, en bon état, à des petits prix, les gens retourneraient au cinéma. Alors rénovons, mais construisons aussi, des petites salles de quartier, en périphérie. N’oublions pas que plus de 50% de la population de Casablanca ne vit pas en centre-ville. Sinon, ça ne sert à rien de faire des films si on ne peut pas les montrer.

Propos recueillis par Mathias Chaillot
Photo Mathias Chaillot

Zara Kadiri
Editor Made in Casablanca
10 février 2011