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Mohcine Besri : "Les mécréants" c'est un film sur le combat entre le doute et la certitude."

Cinéma
Zara Kadiri
Editor Made in Casablanca
25 mars 2013

Après avoir gagné le prix du meilleur film arabe de la dernière édition du Festival International du Caire, le réalisateur du film "Les mécréants", Mohcine Besri, était de passage à Casablanca.En salle depuis le début du mois de Mars, le film de Besri, intrigue par son thème, son huis-clos. Nous en avons profité pour lui poser quelques questions...

Made in Casablanca : Tu as choisi le thème de l'islamisme confronté à l'humanisme. Choix risqué pour un premier film !

Mohcine Besri : Si tu fais attention à ma mini-filmographie, tu remarqueras que j'ai réalisé un court-métrage qui s'appelle "Kafka mort ou vif", qui a été tourné en trois heures. C'était un clin d'oeil à mon père. Je l'ai écrit quand j'avais seize ans et mon père l'avait déchiré en me disant que j'allais finir en prison si je l'adaptais parce que ça parlait déjà des années de plomb. Peu de temps après sa mort, j'ai décidé de le faire. C'était une sorte de protestation, de révolte :"On ne peut même pas rêver dans ce pays !". C'est un type qui raconte son rêve et qui se retrouve en interrogatoire. Ensuite j'ai fait "Heaven", qui traitait du viol collectif. Pourquoi ? Parce qu'un de mes élèves avaient participé à un acte similaire, et j'ai été choqué. Dans ce cas là, c'était plutôt une réaction. Et comme je vis en Europe et que j'en ai marre des clichés que l'on sert à tout bout de champ, j'ai décidé de faire "Les mécréants". J'ai choisi l'islamisme mais ce n'est pas le thème principal de ce film et de toutes les autres réalisations que je ferais. Je veux traiter de la certitude. Je déteste les têtes remplies de certitude, que l'on retrouve d'ailleurs dans plein de schèmas : l'extremisme religieux, les laïcs, les politiques. Petite anecdote, j'avais écrit sur la page de garde du scènario des Mécréants une phrase de Nietsche :"Ce n'est pas doute qui rend fou, c'est la certitude". Pour en revenir à ta question, je n'ai pas voulu confronté l'islamisme à l'humanise parce que pour moi l'Homme est partout. Mais, il y a des têtes que l'on rempli de certitudes et qui deviennent dangereuses. Alors j'ai voulu prendre deux extrêmes et les enfermer pour démontrer que leurs points communs sont supérieurs à leurs différences. Nous avons tous nos certitudes mais nous devons les vaincre au quotidien.

Made in Casablanca : D'où l'idée du huis-clos ?

Mohcine Besri : Exactement. Un huis-clos est un laboratoire. Les comédiens sont kidnappés très rapidement, dès le début du film. Je n'étais pas en train de faire un film sur les techniques de kidnapping des islamistes (rires) ! Donc ils se retrouvent tous dans cette grande maison à attendre le coup de fil de l'émir, la tête pensante. Et c'est là que les problèmes commencent : on appelle l'émir mais il ne vient pas. Et c'est "En attendant Godo" ! Comme l'émir n'est pas là pour donner des instructions, les kidnappeurs doivent se mettre à réfléchir. Sauf qu'ils ont été formaté pour exécuter, pas pour réfléchir. Ce que je voulais montrer, c'est que lorsqu'un "exécutant" tire sur la gachette, c'est normal, il a été formé pour ça. Mais il reste tout de même humain, et quand il est face à ce genre de décision, les masques tombent.

Made in Casablanca : Mais comment es-tu arrivé à si bien comprendre ses terroristes, leur mentalité ?

Mohcine Besri : J'ai envoyé mes acteurs faire un stage dans un camp en Afghanistan. Non, je rigole (rires) ! Je me suis beaucoup inspiré des soldats américains. J'ai vu et revu un nombre incalculable de films et de documentaires sur la guerre en Irak et en Afghanistan. Leur discours sont très proches. Le jeune G.I. qui écoute du hard-rock à plein volume dans son tank tout en tirant sur des femmes et des enfants, il est persuadé d'amener la démocratie... C'est pour cela que je n'ai pas mis en scène les têtes pensantes mais les exécutants parce que ce sont eux les plus nombreux et ce sont eux les enfants de mon pays. "Les mécréants" c'est un film sur le combat entre le doute et la certitude.

Made in Casablanca : Dans le film, la troupe de comédiens jouent une pièce avec une autruche qui galope à travers un asile psychiatrique... Pourquoi l'autruche ? Parce qu'elle se cache la tête ?

Mohcine Besri : A ton avis (rires) ? Il y a toute une symbolique avec le personnage de l'autruche. J'ai d'ailleurs insisté pour que l'affiche de la pièce soit réalisée, pas pour la filmer mais vraiment pour donner une autre dimension à cette pièce. Sur l'affiche, on peut voir que le spectacle s'appelle "L'éveil de l'autruche". C'est une métaphore de la société marocaine, un asile de fous avec une autruche en mouvement qui se cache la tête au premier problème. Il y a même un clin d'oeil au Printemps Arabe ! Une histoire de comète qui s'appelle "Spring"...

Made in Casablanca : Pour toi, l'intégrisme est le résultat d'un régime politique mal adapté ?

Mohcine Besri : Je pense que nous récoltons ce que nous avons semé. Le Maroc a été gardé dans l'ignorance pendant de longues années, nous n'allions pas récolté des pastèques après tout ce temps !

Made in Casablanca : Comment réagis le public à la sortie de ton film ?

Mohcine Besri : J'ai eu quelques remarques très touchantes. Certains viennent me voir en me soufflant que c'est le plus beau film marocain jamais réalisé. Je ne sais pas qui a bien pu les payer pour me dire ça (rires) ! Quelqu'un m'a dit qu'il était d'intêrét public de le visionner dans toutes les écoles du Maroc. D'autres m'ont dit que ce film a été fait avec un petit budget.

Merci beaucoup Mohcine de m'avoir accordé quelques minutes de ton temps. Et pour tous ceux qui n'ont pas encore vu le film, courrez-y !

Texte Zara Kadiri

Photo DR

 

 

Zara Kadiri
Editor Made in Casablanca
25 mars 2013

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