Mixte et mythique
C'est le coiffeur le plus connu de Casablanca. Ses frasques (le premier salon mixte de la ville, ses allers-retours entre le Maroc et le Canada, les têtes illustres qu'il a coiffé) l'ont fait connaître à travers toute la ville. Rencontre avec Noor, coiffeur pas comme les autres.
Noor. Il a un nom, mais son prénom est une marque. Pas besoin de plus. L'histoire d'un passionné qui a décidé qu'il vivrait de sa passion, coute que coute. Et pourtant. Presque la cinquantaine (ne lui dites pas, ça l'énerve), Noor est né et a grandi à Fès, avant de partir à 17 ans pour la France où il veut obtenir son diplôme de coiffeur. “Je le voulais depuis mes 14 ans, mais pas mon père. Ce n'était pas un métier bien pour lui.” Il travaille quelques mois dans un hôtel, économise, se paye une prestigieuse école privée, et part rejoindre sa cousine à Paris, où, le soir, il travaille comme costumier dans un théâtre. Mais Noor n'était pas destiné aux petits salons et aux mégères toute sa vie. Son professeur de CAP l'envoie dans le salon Jacques Dessange de l'avenue Franklin Roosvelt, au coeur de Paris. “Je n'osais pas entrer, c'était trop pour moi. Et mon professeur m'a dit “tu es fait pour ce monde”. J'y suis allé.”
C'est le début de son histoire. Son patron remarque ses talents, l'emmène sur des défilés, et puis un jour, le téléphone sonne, Noor a du temps, pas son patron. “On m'a envoyé faire les photos pour un shooting de Vogue. J'avais 21 ans, et mon nom dans un des plus grands magazines de mode. Ca a été une grande fierté.” Le père change de ton, et lui propose d'inciter son petit frère à la coiffure. “Il a vu qu'on pouvait gagner sa vie avec.” On l'appelle à Casablanca, qu'il découvre, craque et repart à Paris, et revient s'installer dans la ville blanche. Puis arrive une histoire comme il n'en arrive que dans les romans.
Un salon de coiffure mixte ? Quelle idée !
Le Roi Hassan II devait passer devant son salon ce jour là, boulevard d'Anfa. Pour sortir, Noor emprunte la porte de derrière, se perd, et se retrouve place Najib Mahfoud (anciennement place Ollier), à Gauthier. “Des arbres, une petite place ombragée, c'était magnifique.” Face à lui, un batiment neuf, un local vide, un numéro de téléphone. Il appelle, apprend que le batiment appartient à son oncle. Son frère accepte de s'associer et d'avancer l'argent. Le soir-même, l'affaire était signée, et Noor ouvre son premier salon. Mais le petit casaoui venu de Paris n'avait pas encore bien intégré les coutumes de Casa. Tout naturellement, il en fait un salon mixte, accueille hommes et femmes. On n'avait jamais vu ça, à Casa. “J'ai même été convoqué par le gouverneur qui est venu voir. Il a fini par accepter car le salon était propre, et qu'on pouvait le voir de l'extérieur.” C'était une évidence pour lui, pas pour les autres. Ca le deviendra. “A l'époque, on me disait "mais une fille qui se fait une coloration, ce n'est pas beau, pas élégant, elles ne voudront pas être à côté des hommes”. Aujourd'hui, ce sont les hommes qui viennent se faire des teintures ou les ongles”, s'amuse Noor.
Son salon devient the place to be, il voit passer des ambassadeurs, des ministres, des conseillers du Roi. A l'époque du renouveau culturel de la ville, il participe aux premiers défilés, voit la mode – et la coiffure qui va avec – se développer, trime, gagne de l'argent, fatigue. “Un jour, mon frère m'a proposé de m'installer au Canada avec lui. J'ai donné les clefs à mes employés, et je suis parti, redevenu employé, sans stress, sans galère. On m'a pris pour un dingue.” A raison ? Quand il revient, après que son frère ait décidé à son tour de rentrer au bled, la clientèle a changé, les habitués sont partis, d'autres sont venus, il faut repartir à zéro. Ce qu'il fait. Il rachète un salon mitoyen, agrandit, ouvre un petit spa.
Aujourd'hui, il s'apprête à en reprendre un autre, Duo By Noor. Sa deuxième enseigne. “Je n'ai pas envie de faire un grand groupe. On m'a proposé de monter des salons partout, à Rabat, Marrakech, mais il faut être proche. Duo est juste à côté du premier salon.” Un nouveau salon, une nouvelle aventure. Mixte, bien sûr, le salon.
Texte & photo Mathias Chaillot