Malika, cœur espagnol, âme marocaine

Portrait
Zara Kadiri
Editor Made in Casablanca
25 octobre 2010

Si Solange, l’ancienne patronne du restaurant La Corrida, était une vraie personnalité, sa fille adoptive, Malika, mérite aussi le détour. Concentré d’humanisme dans une armure fêlée, l’actuelle propriétaire des lieux revient pour M!M sur son parcours riche en émotion. Et en rencontres.

Elle a commencé en bas, en ramassant les cendriers, en amenant le pain et les olives. La Corrida, le restaurant qu’elle dirige aujourd’hui, Malika l’a toujours connu. Son petit coin d’Andalousie, vestige des ancienns arènes de Casablanca gérées à l’époque par ses parents adoptifs, elle le protège plus que tout au monde. Un restaurant devenu musée où s’entassent banderilles, capes de grands matadors, et têtes de taureaux qui lorgent sur votre paëlla. Ambiance.
« J’ai été adopté à 7 ans », commence-t-elle. « J’ai fait un peu de tout. Enfin d’abord, je suis allée à l’école, mais pas longtemps. Jusqu’à 16 ans, peut-être. Je n’aimais pas ça. Je voulais travailler. » Sa mère adoptive aura entendu le message, et la prendra ensuite à son service, ce qui ne l’empêchera pas de voyager. La France, surtout. « Je faisais les vendanges tous les étés, en Touraine, à Bordeaux. Une fois, je n’ai pas voulu être payé. Je suis comme ça, c’était pour donner un coup de main. » Puis elle rentrait, aider sa mère, Solange. Une grande dame, la Solange, amie du Roi Hassan II, qu’elle a rencontré la première fois en lui tapant sur l’épaule. « Qu’est-ce que vous croyez », lui a-t-elle dit comme introduction, alors que le souverain s’étonnait de la présence de nombreux jambons pendus au mur.

« J’adorais le crane de Bernard Blier »

Son père adoptif, en revanche, ce n’est qu’un nom. Un souvenir flou. Une fierté. « J’étais petite quand il a été tué dans l’attentat de Skhirat qui visait le roi, en 1971. Il organisait la réception. J’étais là, ma mère aussi. » Vincente était traiteur du roi, lui organisait son anniversaire. Malika sourit. Elle ne s’éternise pas sur son passé, ses difficultés, son « vrai père », dont elle s’est occupée jusqu’à la mort, alors qu’elle vivait déjà chez ses parents adoptifs. Et Solange, justement, dont elle a aussi tenu la main durant les derniers jours. Les fissures se lisent dans ses yeux pétillants, qui se voilent, un instant, de regrets et de souvenirs. Puis le sourire revient. Elle enchaîne les souvenirs. « J’adorais Bernard Blier, le cinéaste, il venait souvent. En fait, j’adorais son crane brillant, vous auriez vu comme il briait, je pouvais rester des minutes entières à le regarder. Solange venait me tirer par le bras pour que j’arrête de l’importuner. » Et Joséphine Baker ? « Oh, elle, elle était très snob. Ma mère adoptive avait appris à une fille à chaner « j’ai deux amours, mon pays et Paris ». Ca ne plaisait pas à Joséphine. Pas du tout. »

« Je chantais pour faire fuir un client »

Depuis, Malika tient bon. 60 ans que son restaurant existe, pas question de lacher maintenant. Les prix ? Ils ne bougent pas ? « 2 dirhams par ci, par là, me suffisent. Je ne suis pas là pour m’enrichir, c’est une cantine. » La décoration ? La scène où se produisaient les plus grands chanteurs andalous prend la poussière, mais sinon, rien n’a bougé.
Maintenant, les artistes à venir se produire sont rares. Un groupe, de temps en temps. Malika se perd un peu dans ses souvenirs. « Moi, une fois, j’ai chanté. Il était deux heures matin, nous étions fatiguées, et les deux derniers clients ne voulaient pas partir. Alors j’ai lancé « je parie que si je chante, ils partiront ». Je me suis mis dans le patio, j’ai commencé à chanter, ils se sont regardés… Et ils ont détalé en deux minutes ! Qu’est-ce qu’on a ri ! »
Aujourd’hui encore, son sourire ne la quitte pas. C’est sa force. Son bout de terre, elle le garde, tel quel. « Je suis fatiguée, j’aimerais bien partir. Mais mes deux fils ont pris une autre voie, qui pourrait reprendre La Corrida ? Personne, pour le moment ». Alors il faudrait vendre. « Des propositions, j’en ai eu, des tas de promotteurs, des sommes folles. Pourquoi ? Pour tout raser et monter un immeuble de six étages ? Surement pas. Moi, je veux bien le vendre pour une bouchée de pain, mais à une condition. Que tout reste comme avant. »

Zara Kadiri
Editor Made in Casablanca
25 octobre 2010

La Corrida

  • Musique live
  • Restaurant espagnol
  • Restaurant international
35, Rue al araar (ex Gay Lussac) 20000, Casablanca
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