Le Haj et la cigale

Portrait
Zara Kadiri
Editor Made in Casablanca
9 mai 2011

L’un des bars les plus emblématiques de la ville, La Cigale, a un patron tout aussi connu : el Haj Abderrahmane. A 73 ans, il accueille chaque jour policiers ou artistes, syndiqués et étudiants, dans son bar rétro et kitsh.

On l’appelle El Haj. A 73 ans, le patron historique de la Cigale, l’un des plus vieux bistrots de la ville, déambule entre les tables. Ici, il connaît tout le monde. Il a vu naître la Nayda chez lui, claque des bises aux habitués, chante et danse quelques pas pour ses jeunes clients. Mine grave à la première approche, rire sincère à la deuxième phrase. Il tend des petits gâteaux, verse un thé, amuse la galerie. On l’embrasse en arrivant, comme un père à qui on aurait manqué de respect parce qu’on ne vient pas le voir assez sovent. « Je repasse vendredi, promis. » La Cigale, c’est chez lui depuis 1970. Avant, il a tout fait. Depuis, il ne veut rien faire d’autre.

Originaire de Ouarzazate, Abderrahmane Samouh a commencé par faire les petits boulots qu’il trouvait au bled, un jour berger, un jour paysan. Et puis il est monté dans un camion pour aller travailler dans les champs. « Mon entreprise s’occupait des sauterelles. Le soir, on prenait les produits, des gants, et on allait asperger les bêtes qui abîmaient les récoltes. Il y avait des cadavres par milliers sur le sol. Et au lever du soleil, on les voyait bondir et on les entendait chanter. Alors on recommençait. » Il rentre ensuite deux ans « au bled, pour maman. » Son père, il ne l’a pas connu. Mort quand il avait deux ans. En 1960, il se décide à quitter le bled et rejoint son frère à Casablanca. « Mais qu’est-ce que tu viens faire ici ? », lui demande-t-il. « Je ne pouvais pas rester. »

"Mon école, c'est l'expérience"

A Casablanca, Abderrahmane commence plongeur et termine serveur, un jour A Ma Bretagne, l’autre A La Mer. Il économise assez pour ouvrir son Milk bar, en 1966 à Mohammedia, avant de le revendre quelques années plus tard et d’acheter L’Escale, près du rond-point Racine. « J’ai souffert vous savez. Je n’ai pas fait d’école, mais j’ai eu l’expérience. » Pour toute école, en fait, Abderrahmane a eu quelques matinées à la mosquée. Rien de plus. Mais son petit business prospère malgré tout. « On n’avait pas le droit d’avoir deux licences d’alcool. » Alors quand il trouve La Cigale, il revend le premier et s’installe. Chez lui. « Je connais tout le monde. En 40 ans, vous pensez bien… » Puis Abderrahmane fait son pèlerinage, et le patron de bar qui vend ses bières à 20 dirhams devient un Haj. Et El Haj, maintenant, ne vit que pour la Cigale. « Je ne quitterai jamais la cigale, jusqu’à ce que je… Enfin, jamais de mon vivant. »

Texte & photo
Mathias Chaillot

Zara Kadiri
Editor Made in Casablanca
9 mai 2011

La Cigale

  • Musique live
  • Pub
  • Bar
  • Restaurant international
10 Boulevard Brahim Roudani Croisement avec le boulevard Moulay Youssef 20000, Casablanca
Get Directions
+212522276985

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