Hotel Le Doge : "Ce soir, je dors chez Cocteau"

« Est-ce que Coco Channel est libre la semaine prochaine ? » C’est souvent par ce genre de petits phrases que les habitués de l’Hôtel Le Doge commencent leur conversation, au moment de choisir leur chambre. Ici, vous n’êtes pas chambre 212, mais chez Charlie Chaplin ou Hemingway. Dans un hôtel particulier des années 30 construit par un entrepreneur italien (la légende dit que c’était un cadeau pour sa femme), Le Doge a voulu jouer le jeu art déco jusqu’au bout. Partant des volumes, des hauts plafonds, des moulures et des ferronneries déjà présentes, la famille Kouhen, propriétaire, a gardé l’esprit des lieux (même si deux étages ont été ajoutés, toute la maison a été restaurée à l’image de l’original) mais lui a aussi redonné vie, en y intégrant les personnalités de l’époque. Fritz Lang côtoie Joséphine Baker, avec ses projecteurs de cinéma et ses affiches au mur, Majorelle fait face à Colette, un exemplaire de Chéri posé sur la table de chevet. Pour créer l’illusion, quelques affiches ne suffisent pas. Chaque chambre est identifiée par son code couleur (le bleu de Cocteau, le gris de Fritz Lang), et son mobilier unique. Ici, on écrit ses lettres sur une réplique du secrétaire particulier qui accompagnait Joséphine Baker en tournée, on dort face à une immense toile de Cocteau, on ouvre les rideaux de tweed de mademoiselle Channel.

Murs de feuilles d’or et photos de Man Ray.

« Madame Kouhen s’est occupée de toute la décoration, explique Laurent Delord, le directeur de l’établissement. Pendant trois ans, elle a chiné les meubles un peu partout, pour équiper chacune des 16 chambres, avec toujours deux objectifs en tête : est-ce qu’ils correspondent à la personnalité de la célébrité dont on parle et surtout, est-ce que cette chambre lui plairait. » Difficile de l’assurer, mais nul doute que Man Ray aurait pu se poser là, face à ses photos, dans son fauteuil blanc. Chaque objet, lampe, porte-savon, est ainsi unique, adapté à l’artiste. Cocteau et Chaplin ne se regardaient pas dans le même miroir, pas de raison, donc, que votre salle de bain soit la même que celle d’à côté.
C’est ce cachet – entre autres – qui a permis à l’hôtel de rentrer dans le club très select des Relais & Châteaux. « C’est l’antithèse du Hyatt ou du Sheraton, résume le directeur. Le service est personnalisé, chaque client est unique, visite les chambres, choisit la sienne. Celle qui lui correspond, celle dont l’âme le touche. » Et vous, vous dormez où ce soir ? Moi, j’ai rendez-vous avec Sacha Guitry.

Texte & photo : Mathias Chaillot

Illustration : Reproduction de L'Ange, chambre Cocteau.