FIFM 2016 : Mélita Toscan du Plantier, les yeux dans les yeux

Festival
Khouloud Kebali
Editor Made in Casablanca
7 décembre 2016

Pour ce premier article FIFM, nous avons jugé important de vous présenter (pour ceux qui ne la connaissent pas) une dame de fer, au cœur de velours, une battante des temps modernes… Controversée pour son caractère « rude », Mélita Toscan Du Plantier, directrice du Festival International du Film de Marrakech, nous a rencontré autour d’un café à la Mamounia et a accepté de répondre à nos questions, toutes nos questions, même celles qui ramènent l’ombre d’un passé très douloureux.

Nous ne pouvions pas laisser passer cette semaine sans vous parler du Festival International du Film de Marrakech. Une 16ème édition qui rend hommage au cinéma russe, dans toute sa splendeur !

Avec toute une délégation venue spécialement présenter des films, mais aussi partager avec professionnels et public marocains.

Le FIFM, c’est toute une histoire d’amour avec le cinéma, c’est une aventure qui continue, malgré les différentes conjonctures que le monde traverse. Nous le vivons chaque année, comme un acte de foi mais aussi de résistance face à toutes les formes d’extrémisme qui sévissent un peu partout et qui menacent l’Humain et la Terre.

Mélita Toscan Du Plantier ferme et déterminée avec un regard qui s’attendrit de temps en temps et qui trahit un peu sa posture habituelle de « guerrière » acharnée.

Quel est votre regard sur la programmation de cette année ?

Je regarde les films, une fois que Bruno Bardes a fait sa sélection et je lui transmets mes idées et impressions à titre personnel. Parfois, je peux intervenir pour proposer quelques films, parler d’une nouveauté dont il n’était pas forcément au courant, ou insister auprès des réalisateurs pour avoir des avant-premières…

Mais sur la compétition officielle, le choix des films lui revient entièrement, je lui fais entièrement confiance et je pense que la programmation de cette année est d’un très haut niveau.

Où en est le festival aujourd’hui ?

Il est évident que le festival se doit d’être bon, surtout la compétition. Sans cette compétition, vous n’êtes pas respectés. Les plus grands noms du cinéma ne se déplacent que pour les événements dont la réputation n’est plus à faire. Pensez-vous que Coppola se serait déplacé si Scorsese lui avait dit du mal du festival ?

Cela arrive, pour une raison ou une autre, que certains jugent des éditions moins « fortes » que d’autres, parce qu’ils n’ont pas aperçu de stars américaines. Ces personnes oublient que d’autres cinémas existent. Ceux qui gagnent des Palmes d’or ou des Ourses d’Or sont très rarement américains, ils sont Iraniens, Taiwanais…

Le cinéma international, il est à Marrakech cette année. Nous avons 36 metteurs en scène qui ont fait le déplacement !

Considérez-vous toujours le FIFM comme un acte de foi dans le dialogue entre l’occident et le monde arabo-musulman ?

Je dirais plus, c’est un acte de résistance ! Parce que nous montrons qu’au Maroc, pays musulman, il existe un festival international ouvert et qui accueille le monde entier pour échanger autour d’un cinéma exigeant, radical ou engagé. Ceci est un acte très fort et un vecteur important de résistance.

Où voyez-vous le FIFM dans dix ans ?

Oulaa (rires), j’ai beaucoup de mal à me projeter dans l’avenir. Le plus grand défi pour moi est de maintenir ce festival et je pense qu’il ne faut jamais arrêter les efforts.

Que pourrait menacer le FIFM ?

Ce n’est pas le festival qui serait directement menacé, mais le Maroc, comme le reste du monde. Avec la conjoncture mondiale et toutes les menaces auxquelles nous faisons face, beaucoup d’événements ont été annulés. L’année dernière, les attentats du 13 novembre ont causé l’annulation de grands événements culturels, mais nous avons insisté pour le FIFM ait lieu, tout comme après les attentats du 11 septembre.

Cette volonté de ne pas arrêter, ne pas fléchir, nous la devons surtout à Sa Majesté le Roi Mohamed VI et Son Altesse Royale le Prince Moulay Rachid. À l’époque, il faut avouer que mon mari et moi, nous nous posions beaucoup de questions quant au maintien du festival, mais le discours de sa Majesté le Roi Mohamed VI a été tellement fort et tellement clair qu’il nous a donné envie de nous battre pour le festival et pour le Maroc.

Il faut donc le maintenir, à tous les niveaux.

J’essaye tous les ans de ramener des gens, comme Meryl Streep ou encore Robert de Niro, pour leur faire rencontrer le public marocain… Et ils finiront par venir, les années prochaines, parce que toutes les stars qui ont participé au Festival de Marrakech ont fini par être fascinées par les Marocains !

Anecdote avec Shah Rukh Khan ?

Je ne le connaissais pas vraiment, je n’avais vu que Devdas et je ne pensais pas qu’il était considéré comme un dieu vivant au Maroc. Il avait pris beaucoup de temps pour confirmer sa présence parmi nous et j’attendais donc une réponse écrite de sa part.

Un jour, les équipes m’ont contacté pour me dire que des femmes et des hommes appelaient la fondation pour connaitre ses dates d’arrivées au Maroc. Certains pleuraient en parlant de lui.

J’ai ensuite appris que la star indienne avait annoncé son arrivée au Maroc, sur Twitter avant même de nous adresser une réponse officielle (rires).

Lors du dîner de gala, la salle n’était pas vraiment « chaude », les invités ont applaudi, mais nous étions dans un cadre « officiel ». Nous étions loin du public marocain.

J’ai pensé important d’aller le voir dans les loges pour lui dire que le public du gala n’avait rien à voir avec le public qui l’attendait sur la place Jamaa El Fna. Shah Rukh m’a alors répondu « mais moi, je suis venu pour le public de la Place Jamaa El Fna ! ». La police m’avait aussi appelé pour me dire que des gens s’étaient déplacés, le matin sur la place et que beaucoup venaient de villes lointaines, comme Oujda !

Shah Rukh Khan m’avait avoué qu’il s’était senti comme « chez lui », parmi les siens. L’amour des gens l’a entouré toute la soirée et c’est cet amour qui incarne son carburant et son moteur. C’était un moment mémorable… Il est parti vers les serveurs, les policiers pour se prendre en photo avec eux.

Vous opérez dans un domaine considéré des plus « machiste », dans un pays musulman… Comment vous faites pour exister dans un domaine d’hommes et au Maroc ?

Je peux être dure, exigeante et j’ai beaucoup de caractère. C’est ce qui m’a permis de tenir dans ce milieu et d’être toujours « ici ». Je suis une personne qui dit toujours ce qu’elle pense, mais sans mauvaise foi ou encore malveillance. Je ne suis pas du genre qui cultive de rancœur, coups montés ou machiavélisme.

L’expérience que j’ai eu fait que j’ai appris à « gérer », avec une forme d’autorité.

Mon caractère est dû à un passé où il a fallu que j’apprenne à survivre… Car je n’avais pas eu le choix.

Vous savez, quand mon mari est mort, j’étais dans ma douleur et je ne pensais pas au festival de Marrakech. Sa Majesté le Roi Mohamed VI et Son Altesse Royale le Prince Moulay Rachid m'ont contacté pour me dire qu'il faut continuer et qu'ils avaient confiance en moi, à une période où moi-même, je ne croyais plus ni en moi ni en rien du tout d’ailleurs.

C’était pour moi, un signe très fort. C’était aussi très courageux de leur part : croire en une femme et lui permettre d’être à la tête d’une manifestation aussi importante. Sa Majesté le Roi Mohamed VI et Son Altesse Royale le Prince Moulay Rachid savaient que j'étais une battante, à tous les niveaux et que je ne me contente jamais d’un « non »? face aux défis.

 

Khouloud Kebali
Editor Made in Casablanca
7 décembre 2016

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