De Casablanca à Casanegra

Interview
Zara Kadiri
Editor Made in Casablanca
16 novembre 2010

Le réalisateur Nour-Eddine Lakhmari a un film qui lui colle à la peau, comme un étendard : Casanegra, culte pour certains, ramassis de vulgarité pour d’autres. En pleine préparation de Zéro, son troisième long métrage, il a accepté de recevoir M!M dans ses studios de production. Entre un planning de tournage et une photo d’Hitchcock, entretien en français d’un polyglotte passionné par sa ville.

M!M : Casanegra est le plus connu de vos films. Avez-vous conscience d’avoir montré un nouveau visage de la ville, plus sombre, et sans doute moins connu.
Nour-Eddine Lakhmari :
Mais c’était le but ! C’est ça le vrai Casa, le Casa Art Déco, le Casa de la nuit. Il suffit de lever les yeux pour admirer des chefs d’œuvres, c’est aussi ça que j’ai voulu dire dans mon film. Pour beaucoup, c’est « une trace coloniale », and so what ? C’est notre histoire, notre patrimoine !

M!M :
En effet, sous le message premier de vos films, on sent une véritable volonté de filmer la ville, dans ses lignes, sa beauté, même si elle cachée par la pollution, ou à l’abandon.
N-E L :
J’ai vécu 24 ans en Norvège. Là-bas, il y a beaucoup de design, on filme « visuel ». Et moi, je suis obligé de montrer mon environnement. Quand je filme, je me filme, c’est ma bouffe, mes fringues, mon langage, et mon architecture. Notre environnement, c’est ça : des jeunes perdus dans l’immensité d’une ville.

M!M :
Mais Casablanca n’est pas seulement sombre…
N-E L :
Bien au contraire ! Casablanca est une lumière. Nous ne sommes pas allés tourner dans un… Slum… Comment on dit… Bidonville ! Non, j’ai choisi un centre-ville majestueux, avec, au sein de cette ville, des liens, l’amitié, l’amour, même dans la nuit. L’amour d’une ville, aussi. Mes références sont Fritz Lang, Ingmar Bergman, qui filmaient de fantastiques espaces, sombres mais beaux. Chaque plan est un hommage à cette ville.

M!M :
Quand on veut parler du cinéma marocain d’aujourd’hui, quelques uns citeront Ma Rock, la majorité Casanegra. C’est un film fondateur ?
N-E L :
On ne peut pas tout résumer à un film, un homme. C’est comme les classements qu’on voit dans les journaux « les 100 qui vont faire ceci, les 100 de demain ». C’est un mouvement, une continuité. Notre Roi, amoureux du cinéma, le Centre Cinématographique Marocain, la liberté d’expression, c’est tout ça qui fait le cinéma d’aujourd’hui. On n’a peut-être pas Brad Pitt, mais on peut le créer, j’ai révélé de beaux garçons dans mes films, non ?
Je refuse simplement l’image des chameaux, de la place Jema El Fnaa, des tapis. Moi, je veux parler d’amour, de Dieu.

M!M : En tout cas, le mot est entré dans le langage courant. Beaucoup de jeunes, souvent de bonne famille d’ailleurs, disent qu’ils rentrent « à Casanegra ».
N-E L : Pour eux, il y a deux Casa. Le Blanca, celui où ils vivent, et le Negra, « l’autre ». Le but n’est pas de cliver, mais de rassembler.
De toute façon, c’est ma mère qui a inventé le titre. Elle me disait « Qu’est ce que tu vas foutre à Casablanca, elle ne l’est plus. » Mais il suffirait d’investir pour que Casanegra redevienne Casablanca. Car il y a beaucoup de choses à faire là-bas, des lieux très sympas, la Bavaroise, la Bodega, etc.

M!M : Et le Casablanca de demain, à quoi va-t-il ressembler ?
N-E L :
Aujourd’hui, on construit « plastique ». Le fer, le verre, je suis pour, c’est bien, mais il faut que ça ait une âme. Le vieux centre-ville en a une. Je me reconnais plus dans le boulevard Mohammed V que dans Massira. Un immeuble de verre, whaou, magnifique, et après ? Montrons qu’on a un passé, une architecture, remettons le en valeur. Le Boulevard Mohammed V pourrait devenir un vrai centre-ville où les touristes auraient envie de venir. Il faut simplement se lancer, et ne pas penser à construire des bâtiments que pour l’argent.

M!M :
Et vous, où sortez-vous ?
N-E L :
Partout. Aussi bien dans les lieux branchés que dans le fameux « Casanegra ». Du moment qu’on y croise des vrais gens, sincères, et pas en mode Catwalking, vous savez, ce genre de personnes qui, s’ils avaient pu, auraient amené leur 4x4 à l’intérieur de la discothèque pour le montrer.

M!M :
Vous commencez le tournage de Zéro, votre prochain film, en janvier. Toujours à Casablanca, j’imagine ?
N-E L :
Oui, bien sûr. Ce sera un film très urbain, visuellement très Spike Lee, genre 25 heures. On y parlera de rédemption, et d’espoir, car le Maroc en a besoin.

Interview Mathias Chaillot
Photo DR

Mise à jour le 18/04/2011 : Retrouvez tous les détails sur Zéro, son nouveau film, sur Made in Casablanca.

Zara Kadiri
Editor Made in Casablanca
16 novembre 2010

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