Dans le port de Casa, y’a des marins qui mangent

Le Seamen’s Club, il faut aller le chercher le long du port, derrière des entrepôts, et le reconnaître à son enseigne faiblarde qui luit au milieu des locaux de l’association United Seamen’s Service. Au mur, une plaque (« club privé réservé à ses membres »), une sonnette (en fait un interrupteur), et une grille (qu’on vient vous ouvrir en remettant la poignée). Arrivé à l’intérieur, changement d’ambiance. Les cendriers sont posés sur de vieux tonneaux de bois, des nœuds de marin pendent aux murs, une map monde poussiéreuse, là-bas, et un mur de briques rouges où trônaient autrefois quatre pendules pour rappeler aux marins que le jour se levait, chez eux, alors qu’ils prenaient leur dernière bière, ici. Seuls Tokyo et Casablanca donnent encore l’heure, Paris et New York ont disparus. « Ici, explique Abdelhak, le directeur, ce n’est pas un bar, mais une association avant tout au service des marins. Avant, on avait même des chambres, lorsqu’ils rataient leur bateau. Mais maintenant… » Aujourd’hui, le club survit difficilement, en ouvrant ses portes aux habitués et aux quelques touristes qui veulent sortir des sentiers battus pour qui la porte est toujours ouverte, si vous prenez la peine de sonner. On y croise des hommes d’affaires, des cadres, un capitaine de navire, on parle français, darija ou taïwanais en écoutant Brel et les Beatles. L’ambiance varie, d’une soirée à l’autre, selon les arrivées. « Les américains sont les plus fous, s’amuse Abdelhak. A une époque, tout l’équipage devait repartir, mais on avait perdu le capitaine. Il était parti avec une fille, la police militaire des Marines était furieuse, mais le barman avait le numéro de la fille. Dix minutes après, le capitaine était de retour. Et tout le monde se demandait comment on avait fait. »

Fish’N Ships et Chili Con Carne

Au bar, commandez une pression (« mais pas comme les marins, vous n’êtes pas obligés de la boire au litre ») en admirant, au fond, Marylin Monroe qui prend la pose, un Picasso, Bob Marley qui fume son joint.
Si vous prenez un morceau au comptoir ou sur la terrasse, au pied des palmiers, vous croiserez peut-être l’ambassadeur des USA, un habitué. Dans les années 60, le sénateur Kennedy avait même fait un détour par le Seamen’s Club, attiré par la réputation des meilleurs hamburgers de Casablanca. « Ce n’est pas comme chez Mac Donald’s, c’est un vrai hamburger, avec l’œuf, le bacon, et tout », précise avec fierté Lazrak. Pour que chacun se sente un peu chez soi loin de chez lui, la carte propose aussi un tour du monde en une dizaine de plats, Chili Con Carne comme Fish’N Ships, à un tarif défiant toute concurrence (comptez moi de 100 dirhams). Côté ambiance, si les groupes de jazz américains ne font plus le déplacement depuis les années 60, il y a toujours un DJ aux platines chaque vendredi soir, et des soirées occasionnelles, que ce soit pour une rencontre artistique (Casaprojecta) ou l’arrivée de 150 hommes de la Navy. Alors si, un soir, vous en avez marre des soirées branchées de Casa, suivez l’enseigne bleutée dans la nuit, sonnez à la porte du Seamen’s Club et mêlez-vous aux marins, vous aurez déjà l’impression de prendre la mer.

Texte & photo Mathias Chaillot