Boushra, folle de l’art
Première – et actuellement seule – art-thérapeute du Maroc, Boushra travaille à l’hôpital psychiatrique de Casablanca. A une époque, elle vivait de son art. Aujourd’hui, elle mène des patients vers le chemin de la raison, un pinceau ou un crayon à la main.
Boushra Benyezza nous accueille, collants oranges sous la blouse blanche. L’artiste sous la thérapeute. La folie sous la raison. Difficile à imaginer, pour elle, qu’elle finirait là, dans ses locaux oranges et blancs – décidemment -, la seule salle d’art thérapie au Maroc. « J’ai eu la chance de rencontrer un directeur d'établissement extraordinaire, qui m’a prise ici pour mon stage d’art thérapie. En France, les gens étaient frileux, ils se disent l’art thérapie, oui, pourquoi pas. Ici, ils ont dit : allons y, même si ça n’existe pas encore dans le pays. » Après son stage, Boushra est restée, à plein temps. Ses locaux ont même été aggrandis. Dix mois, maintenant, qu’elle voit passer ses patients de l’hôpital psychiatrique de Casablanca, des hommes et des femmes qu’elle essaye de ramener vers la raison.
"Mon travail : aider, et comprendre."
« Notre premier rôle, bien sûr, est d’aider les patients à se sentir mieux. Ici, ce n’est pas comme le psy, on a le temps, on parle, on créé, on prend confiance en soi. » Mais une fois l’œuvre achevée, elle prend un tout autre intérêt : elle peut être analysée, décryptée, étudiée, par les psychiatres, qui y déceleront les failles qu’ils n’avaient pas vu. « Un psychopathe, un schyzophrénique ou un bipolaire ne créeront pas du tout de la même façon. Très souvent, les mêmes symboles, les même codes, les mêmes couleurs, reviennent autour de la même maladie. Nous y décelons parfois des maux que nous n’avions pas réussir à voir avant. »
C’est par exemple ici, autour d’un simple atelier d’écriture, qu’un homme avoua finalement, par quelques mots inscrits sur une feuille, les faits horribles qui l’avait fait plonger dans la folie. « Et on regarde le travail progresser. » Elle sort deux toiles. La première, une œuvre brouillonne, des couleurs en vrac, des formes violentes. La deuxième, un paysage quasi expressionniste, une petite rivière, une maison au loin, un ciel sans nuage. « C’est la même personne. L’un est sa première œuvre, l’autre, sa dernière. On voit la progression de leur état mental, mais aussi de leur travail. Et on découvre parfois de vrais artistes. »
"Refermer mes blessures"
Quand elle ne créé pas avec ses patients, elle créé pour elle, le week-end, des œuvres qu’elle expose un peu partout. C’est d’ailleurs l’art, sa formation initiale, qui l’a ensuite poussé vers l’art thérapie. « J’ai toujours été intéressé par la psychologie. Et j’avais un cousin qui était ce qu’on appelle un fou. J’étais jeune, je ne pouvais rien faire, il a été rejetté. C’est aussi une façon de refermer ma blessure. » Alors quand elle entendu parler d’une formation, en France –et alors exposait un peu partout dans le pays - elle s’y lance, passe ses diplômes, et décide que ses œuvres de sable et de peinture attendront un peu. La blouse blanche lui va si bien.
Texte & photo Mathias Chaillot