Agadir : rock the Kasbah
Les pierres de la kasbah d’Agadir, vestige d’un passé de conquêtes et de dynasties, ont toujours cristallisé les fantasmes d'un édifice inaccessible à transcender, bousculer. Retour sur une citadelle à redécouvrir.
Etendard d'une hymne à la contestation dans la chanson de The Clash : "Rock the casbah" : "la casbah ébranlée" (ou le peuple " ébranlant la casbah " en protestation à l’interdiction du rock), ou plus tard pour le film de Laila Marrakchi , où, pour la réalisatrice marocaine, elle symbolise la traduction de la schizophrénie féminine, tiraillée entre tradition et modernité ; il s'agit toujours d'un symbole, celui d’une magnificence et de son déclin, ou de ses failles quelles qu'en soient les raisons. En cela la kasbah (ou casbah) représente l’archétype de la beauté patrimoniale, somptueuse et fragile. Made in Agadir vous propose de redécouvrir sa forteresse, sa kasbah.
Etymologie
On associe souvent Agadir à la contemporanéité, une ville plus froide que les autres villes marocaines, on la dit trop jeune, on la juge trop rectiligne ; c’est méconnaitre l’histoire de ses vieilles pierres, de sa Kasbah. Certes contemporaine à sa consœur des Oudayas, à Rabat, elle n’a pourtant rien à lui envier. Dans les pays d’Afrique du Nord, une kasbah est une citadelle : à l’origine fortification militaire telle la kasbah de Tunis ou celle d’Alger. Le terme kasbah provient du mot arabe qasabah qui signifie " forteresse " ou " roseau ". Ce matériau était utilisé jadis, pour ses propriétés ergonomiques et économiques, dans la construction des toitures en tant qu’isolant thermique (contre la chaleur, le froid et l’humidité). Se substituant au bois, ce matériau avait connu un usage très large notamment dans les anciennes médinas édifiées le plus souvent en bordure des fleuves ou des cours d’eau où cette plante abondait, à tel point que les ruelles des anciennes médinas étaient couvertes par des toitures en roseau. D’ailleurs, par extension, le mot désigne également le cœur historique, fortifié ou non, d’une ville et le mot peut correspondre à un synonyme de médina.
Histoire de la Kasbah d’Agadir
Il s’agit d’une forteresse surplombant la ville ainsi que la plage et culminant à une hauteur de 236 mètres. Cette dernière fut érigée en 1540 par Mohammed Ech-Cheikh, roi marocain appartenant à la dynastie Sâadienne. Dans son Encyclopédie de l’Islam, Fascicle 111, Clifford Edmund Bosworth écrit p.884 " Mawlay Mahammad al Shaykh de la dynastie des Saadites (…) , fils cadet de Muhammad Abd al Rahman al Ka’im biamr Allah (…) eut l’annonce de son destin magnifique lorsqu’à l’école coranique ; un coq vint se poser sur sa tête à lui ainsi qu’à son frère. Il mena un grand succès : la guerre sainte contre les chrétiens établis dans la région, spécialement à Santa Cruz, le débouché du Souss qui devait devenir Agadir. " Après avoir conquis la ville, ce dernier construit ces murailles dans le but de se protéger d’éventuelles invasions notamment portugaises. Le site fut rebâti en 1752 afin d’augmenter la sécurité d’Agadir, (on dit aussi qu'un premier séisme eut lieu à cette époque, en 1960 ce ne fut donc pas la première fois que la nature ébranla la Kasbah). C’est par là que l’on entrait à Oufeda, ce que l’on appelle la ville haute, un lieu populaire, animé et vivant. Dans le but de renforcer la sécurité de la ville, le site est reconstruit en 1752, c’est d’ailleurs de cette époque que date la fameuse inscription sur la porte de la kasbah, toujours visible aujourd’hui, qui annonce en hollandais : " Vreest God ende eert den Kooning " avec sa transcription en arabe: " Crains Dieu et honore ton roi ". Car les Pays-Bas y possédaient un comptoir.
1960. Le tremblement de terre et la reconstruction
En 1960, soit après deux siècles de règne, la belle sur son piédestal, celle qui n’avait pas été vaincue par les hommes, le fût par la nature : le séisme le plus meurtrier de l’histoire du Maroc dura 15 secondes; d'une magnitude modérée (5,7 sur l'échelle de richter); la gravité des dégâts est attribuée au fait que la secousse avait son épicentre juste en dessous de la ville, et à la faible résistance des constructions anciennes. Le séisme a fait de 12 000 à 15 000 morts, soit environ un tiers de la population, et environ 25 000 blessés. Dans les quartiers de Founti, Yachech et de la Kasbah, tous les bâtiments furent détruits ou sévèrement endommagés, 95 % de la population de ces zones fut ensevelie. Dans le quartier de Talborjt, entre 60 % et 90 % des bâtiments furent détruits ou gravement endommagés, la ville nouvelle et le front de mer furent relativement épargnés. Il s'agit d'un drame et pas d'une ritournelle ou d'un slogan contestataire toutefois si nous utilisons la métaphore de la kasbah dans les projections des artistes sus-nommés c'est qu'elle n'en demeure pas moins un symbole. Ici c'est la terre qui l'a bousculée, fracturée mais la forteresse, emblème de l’histoire du Souss, ne pouvait rester en ruines, les fortifications furent reconstruites sur leurs anciennes marques et seule la porte d’entrée fut conservée à l’authentique. Est-ce en raison d’un passé douloureux, de l’empreinte dans la pierre de cette catastrophe naturelle que la kasbah a été quelque peu négligée, abandonnée, par son peuple même ? Les Gadiris se réapproprient néanmoins peu à peu ce vestige incommensurable de leur histoire, pansent leurs plaies, ses plaies.
La Kasbah aujourd’hui
La Kasbah, bien que réhabilitée a été parfois négligée, souillée, mais des associations d’universitaires et autres œuvrent au respect de ce magnifique site, des recherches archéologiques ont également été effectuées en coopération avec l’université Ibn Zohr. L’association Forum Izorane Agadir sonnait en 2013 la sonnette d’alarme concernant la situation désastreuse que connaissait la Kasbah au niveau des déchets qui y étaient entreposés entre autres (en témoigne le blog de M. Michel Terrier). Ils revendiquaient également la suppression des antennes installées sans tenir compte des exigences en matière de conservation des monuments historiques. La démarche d'une vraie réappropriation est en cours...
Pour y accéder
On accède à l’ancienne kasbah par une route que l’on trouve à la fin du boulevard Mohammed V, qui part en lacets sur les hauteurs de la fameuse colline de la ville où est inscrit " Dieu, Patrie, Roi ". Des taxis font le trajet, mais on peut y monter à pied, ce qui prend une vingtaine de minutes. N’hésitez pas à vous offrir les services d’un guide. Le site conserve l’empreinte de l’Histoire d’Agadir, de ses fractures, il reste le plus beau point de vue depuis la ville, la nuit, illuminé. Il demeure le plus beau point de vue depuis les fortifications. La belle demeure en Reine, ébranlée mais toujours droite et fière, étendard de l’histoire et de la culture de la région d’Agadir. Ne passez pas votre chemin, rencontrez- là, comme on rencontre un érudit, un vieil homme sage du village qui a tant à nous raconter. Admirez- là comme le portrait d’une femme magnifique, intemporelle, si ancienne, si contemporaine. Appréciez chacune de ses pierres écorchées comme témoins de sa grandeur passée. Vous pourrez vous renseigner auprès du Centre Régional du Tourisme d’Agadir (CRT ). Humez le parfum de l’histoire, des civilations passées et ce qu'elle représente aujourd'hui, à transcender. La Kasbah est ancestrale et pourtant pas nécessairement immuable, moderne mais raffinée, investissez- là, redécouvrez-là et qu'elle demeure un symbole et qu'ainsi toujours on puisse scander: "rock the casbah " !
Texte et photo Nathalie Perton